
Point de vue
Europe : l'avenir
passe par la
Méditerranée, par Bernard Kouchner
LE MONDE | 10.07.08 |
14h54 • Mis à jour le 10.07.08 | 14h54
En politique, les plus grandes idées sont souvent les plus simples ; ce
sont celles qui trouvent écho dans l'âme des peuples, dans l'histoire, dans le
rêve partagé. L'union de l'Europe, la rencontre des cultures et des religions,
la construction d'un ordre international fondé sur la paix et le droit, la
solidarité : chacune de ces utopies réalisées est née d'un rêve ancien.
Le projet d'Union pour la Méditerranée
lancé par le président de la République au lendemain de son élection relève de
la même vision. L'idée est évidente : réconcilier enfin les deux rives de cette
mer, unies et déchirées par mille soubresauts de l'histoire, aujourd'hui
confrontées aux mêmes espérances et aux mêmes dangers. L'idée est évidente et
c'est là sa grandeur.
La Méditerranée est au coeur de
toutes les grandes problématiques de ce début de siècle. Développement,
migrations, paix, dialogue des civilisations, accès à l'eau et à l'énergie,
environnement, changement climatique : c'est au sud de l'Europe que notre
avenir se joue.
L'idée est évidente,
mais elle fut longue à mettre en place. Dès 1995, le processus lancé à
Barcelone apportait une première réponse. Ses acquis sont loin d'être
négligeables, mais il ne répondait plus aux attentes et donnait l'impression
d'avoir été confisqué par les Européens. Près de quinze ans plus tard, l'Europe
n'a pas encore pris la mesure de sa rive sud. C'est pourquoi nous avons, depuis
un an, multiplié les initiatives auprès de tous nos partenaires, au Nord comme
à l'Est et au Sud de cette mer commune.
Toute la diplomatie française
a été mobilisée. Les obstacles furent légion. Il fallut convaincre nos
partenaires espagnol et italien que la France ne faisait pas table rase du Processus de
Barcelone mais souhaitait au contraire le relancer ; nous nous y sommes
employés dès les premiers jours, à Rome comme à Portoroz
lors de la rencontre des dix Européens de la
Méditerranée. Convaincre l'Allemagne que ce projet n'était
pas tourné contre l'Europe ; ce fut l'accord d'Hanovre entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy reconnaissant une évidence : le
Sud, comme la France,
a besoin d'Europe. Convaincre la
Turquie que cette ambition ne se substituait pas au souhait
d'Ankara d'adhérer un jour à l'Union européenne. Convaincre les pays du sud que
nous n'allions pas imposer un modèle exclusif, mais proposer un partenariat
équilibré. Il fallut rappeler que la présence d'Israël était naturelle. Il
fallut enfin faire partager à tous un projet de paix ; c'est ce que je me suis
efforcé de faire jour après jour et lors de la réunion du Forum méditerranéen
d'Alger en juin. Parce qu'elles sont les plus simples, les plus grandes idées
sont souvent les plus difficiles à faire accepter. Ce fut tout le mérite de
notre diplomatie.
Cette année de
concertation a enrichi le projet d'Union pour la Méditerranée
des suggestions de chacun. Il est aujourd'hui plus fort, mieux partagé. Pour la
première fois de l'histoire de la Méditerranée, une quarantaine de pays de l'Union
européenne et de la Méditerranée se rassemblent le 13 juillet à Paris
au plus haut niveau, représentés par leur chef d'Etat ou de gouvernement. Pour
qui connaît les ressentiments de ces peuples enchevêtrés, cette rencontre est
déjà un succès historique.
L'histoire à nouveau
s'élance. Elle est portée par le nouvel et encore fragile espoir de paix qui se
dessine. L'accord de Doha sur le Liban obtenu grâce à la médiation du Qatar et
de la Ligue
arabe, sur la base du plan en trois points présenté par la France, après mes
nombreuses missions à Beyrouth, en constitue le meilleur exemple. Il faudrait
aussi citer la trêve à Gaza sous l'égide de l'Egypte, les pourparlers
israélo-syriens grâce à la médiation turque, ou les échanges humanitaires entre
Israël et le Hezbollah. Il faut que cet élan se poursuive, que la vie
quotidienne des Palestiniens change enfin - leur détresse n'est plus
supportable - et que la négociation lancée à Annapolis entre Ehud Olmert et Abou Mazen aboutisse
pour faire taire le scepticisme grandissant. La conférence de Paris sur l'Etat
palestinien fut un succès mais l'essai doit être transformé. La France entend s'y employer
activement lors du sommet et en faire une des priorités de sa présidence
européenne car le processus de paix est menacé. L'Union Européenne doit jouer
sans complexe tout le rôle qui lui revient au Proche-Orient. Ce sommet se veut
celui de la paix entre tous les Méditerranéens.
L'histoire demandera du
temps. Rien ne sera fini le 13 juillet au soir. Mais l'UpM
sera déjà lancée autour de trois principes : une impulsion au plus haut niveau
avec des sommets tous les deux ans ; un partenariat, avec un secrétariat et une
présidence paritaires entre le nord et le sud ; une priorité aux projets
concrets, qu'ils soient écologiques ou éducatifs, qu'ils s'attachent aux
entreprises ou à la sécurité, qu'ils visent le dialogue des cultures ou une
meilleure gestion des migrations. C'est sans doute l'originalité la plus forte
de cette Union : la priorité accordée à l'action, aux projets, dont chacun
pourra mesurer l'effet réel. Je suis confiant, de très belles initiatives
privées ont déjà vu le jour.
Quelle ambition plus
noble que de faire de la Méditerranée une des mers les plus propres du
monde ? Quelle ambition plus haute que de nous rassembler autour de notre
histoire, de partager nos cultures en favorisant les échanges d'étudiants dans
le cadre d'un Erasmus méditerranéen, de multiplier les échanges
d'universitaires et de scientifiques ? De travailler à un plan solaire
méditerranéen pour améliorer l'accès à l'énergie des populations du Sud ?
D'aider les PME du Nord et du Sud à investir en Méditerranée et à y créer des
emplois ? De mieux mutualiser nos moyens de protection civile face aux
catastrophes naturelles ? De développer des autoroutes maritimes pour mieux
relier Méditerranée orientale et occidentale ? Cent autres projets sont possibles
et réalisables.
Avec eux, avec
l'ensemble des Etats partenaires, avec les organisations internationales
concernées, Union européenne et Union africaine notamment, et avec l'Assemblée
parlementaire euro-méditerranéenne, il nous faudra continuer à innover, trouver
des idées et des financements, inventer des projets. Il nous faudra penser en
grand, associer toutes les bonnes volontés des pays du Golfe jusqu'à l'Afrique.
Il nous faudra surtout agir sur le terrain, au niveau le plus local, avec des
projets adaptés aux besoins des populations. Soyons à la hauteur de cette
ambition historique, soyons généreux, solidaires, inventifs. Nous sommes tous
des Méditerranéens de cœur et de paix.
Bernard Kouchner est ministre des
affaires étrangères et européennes.