Entretien avec Henri Guaino, conseiller de Nicolas Sarkozy

L'UPM réussira "si le Nord accepte de partager la décision avec le Sud"

LE MONDE | 11.07.08 | 14h57  •  Mis à jour le 11.07.08 | 14h57

 

 

Henri Guaino a été l'un des initiateurs du projet pour la Méditerranée.

 

En quoi le projet de l'Union pour la Méditerranée (UPM) se distingue-t-il de Barcelone ?

Barcelone a été conçu par l'Europe comme un instrument pour dialoguer avec le Sud. Pour la première fois depuis la décolonisation, l'Europe marquait son intérêt pour le Sud. Mais, dans Barcelone, il y avait un déséquilibre en faveur du Nord. Barcelone c'était la propriété de l'Europe qui parlait au Sud, lui offrait son aide et quelquefois lui faisait la leçon. L'Union pour la Méditerranée, elle, veut être une copropriété, un partenariat à égalité de droits et de devoirs pour assumer ensemble cette part de destinée commune qui s'appelle la Méditerranée. D'où l'idée de construire non pas l'Union "de" la Méditerranée mais" pour" la Méditerranée.

Avez-vous renoncé au "grand rêve de paix et de civilisation" évoqué par Nicolas Sarkozy ?

Non ! Mais c'est en travaillant ensemble autour de projets concrets que les Méditerranéens apprendront à se connaître, à se comprendre, à se respecter et peut-être à s'aimer. Regardez : des gens qui ne se parlaient plus, ne se supportaient plus, se combattaient, acceptent de s'asseoir à la même table. C'est le premier succès de l'UPM en faveur de la paix. Et en travaillant au partage du savoir, à la sécurité alimentaire, à l'accès à l'eau, à la gestion en commun des flux migratoires, à la sécurité collective, nous ferons que la Méditerranée cessera un jour d'être le lieu de toutes les tragédies et de tous les périls pour redevenir un creuset de civilisation.

 

Les projets avancés ne paraissent-ils pas bien modestes ?

L'Europe s'est bien faite à partir du charbon et de l'acier ! Et, le 13 juillet, c'est un commencement pas une fin. Ce jour-là, quelques projets emblématiques seront discutés par la quarantaine de chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Paris. Par exemple : faire de la Méditerranée la mer la plus propre du monde. On parlera aussi de sécurité civile, d'eau, d'énergie solaire, d'autoroutes de la mer...

Mais le but c'est qu'après le 13 tous ceux qui ont un projet de dimension régionale et d'intérêt général, Etats, collectivités, universités, associations, entrepreneurs, scientifiques, artistes, peuvent le réaliser avec le soutien de l'UPM. Je pense à une Banque de la Méditerranée, à un centre méditerranéen de la recherche scientifique, à des universités communes, à un Erasmus méditerranéen, à un conservatoire du littoral, à des politiques communes du tourisme, au nucléaire civil, à la réunion des Académies de la Méditerranée et à des centaines d'autres projets, grands ou petits, qui permettront de tisser des solidarités. C'est une démarche humble et pragmatique dont la finalité est très ambitieuse.

 

Vous aviez personnellement milité pour une UPM restreinte ?

Au départ, il y avait la conviction qu'il était plus facile de construire un partenariat équilibré entre les pays riverains tant la prise de conscience d'une destinée commune était naturelle. Il y a eu un débat très vif sur ce sujet en Europe. Débat salutaire puisqu'on n'a jamais autant parlé de la Méditerranée et que finalement tout le monde est tombé d'accord pour refonder Barcelone.

Dès lors que le Nord est prêt à partager les responsabilités avec le Sud et que l'on sort de la logique bureaucratique pour entrer dans celle de projets, l'essentiel de l'ambition initiale est préservé. Cela prouve, au passage, que l'Europe a toujours intérêt à débattre plutôt qu'à étouffer ses divergences. Comme les projets seront à géométrie variable, le fait d'associer 40 Etats ne posera pas de problème puisque personne ne pourra bloquer ceux qui voudront avancer. Il y aura une coprésidence entre un pays du Nord et un pays du Sud, sans doute, pour commencer, la France et l'Egypte. Il y aura un secrétariat permanent avec des fonctionnaires du Nord et du Sud et un comité de représentants permanents de tous les pays membres. Mais les conditions de la réussite seront que le Nord accepte vraiment de partager la décision avec le Sud et que la logique bureaucratique ne revienne pas en force.

 

Vous avez renoncé à restreindre l'UPM aux pays riverains en ouvrant sur le Nord. Pourquoi ne pas ouvrir aussi sur le Golfe ?

Il faut bien fixer un cadre. Mais le but c'est la coopération, non l'intégration. Les Etats du Golfe pourront s'associer à tous les projets auxquels ils souhaiteront participer. L'UPM a pour ambition d'être le pivot d'une grande alliance entre l'Europe et l'Afrique, mais aussi entre l'Occident et l'Orient. C'est le rêve d'Auguste et celui d'Alexandre. Pour l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient, la Méditerranée est la source de tout. La civilisation européenne, c'est l'héritage de l'Egypte, de la Grèce et de Rome, du judaïsme, de la chrétienté et de l'Andalousie. La philosophie allemande me parle parce qu'elle est l'héritière de la philosophie grecque.

 

Comment associer dans l'UPM des régimes inégalement démocratiques ?

Si l'on veut coopérer, faire avancer la cause de la paix, faire de la Méditerranée le grand laboratoire du codéveloppement, il faut bien le faire avec les Méditerranéens. Sinon nous sommes condamnés à contempler sans rien faire la montée des périls et l'injustice. L'UPM à pour but de créer des conditions plus favorables à la paix, à la démocratie, et aux droits de l'homme.

 

Propos recueillis par Gilles Paris et Marion Van Renterghem