International Conference

THE BALCANS IN THE NEW MILLENNIUM

Science and culture in a joint action for peace and development

 

SKOPJE, 26 may 2001

RELATION DE MICHELE CAPASSO

DIRECTEUR GÉNÉRALE DE L’ACADÉMIE DE LA MÉDITERRANÉE

PRÉSIDENT DE LA FONDATION LABORATORIO MEDITERRANEO

 

 

Méditerranée: culture et science pour la paix et le progrés

La Méditerranée n’a jamais été simplement une mer qui sépare l’Europe du Proche-Orient et de l’Afrique ou, comme le disait Braudel, une simple fissure de la croûte terrestre qui s’etend de Gibraltar à l’Isthme de Suez et à la Mer Rouge. La Méditerranée est une mer où s’ouvrent des terres très différentes entre elles, villes et déserts, populations nomades et sédentaires, modes de vie tout à fait différents qui se fondent sur des dualismes et des hostilités congénitales. Sur la Méditerranée se sont développées aussi bien les civilisations modernes que les traditionnelles, villes très modernes et métropoles ancrées dans un passé immobile, qui n’ont pas changé et qui se sont souvent opposées l’une à l’autre dans la haine et l’inimitié. Mais la Méditerranée est surtout une mer qui a formé les civilisations, les a séparées et les a unies, les a mises en relation entre elles et les a vues se confronter dans des luttes mortelles. Des civilisations, à partir des premières qui sont nées dans la Méditeranée orientale jusqu’aux cultures cosmopolites nées autour de l’Egypte, de la Mésopotamie, de l’Asie Mineure, jusqu’à Rome qui eut la force de réprimer la tentative "orientale de s’emparer de la Méditerranée, et qui se poussa au delà de celle-ci.

C’est dans la Méditerranée que sont nées les grandes cultures qui ont donné l’identité à l’Europe et aux Pays du Sud s’ouvrant sur cette mer. Il ne faut jamais oublier cela, jamais oublier que c’est sur les côtes de la Méditerranée qu’est née l’idée d’un seul Dieu, le principe de l’Etre, le principe de l’unité des contraires qui poussa Héraclite à dire "l’harmonie la plus belle naît de ce qui est en lutte tout se réalise à travers la discorde. Mais surtout, comme je le disais, l’idée d’un seul Dieu qui unit la sensibilité juive, chrétienne et arabe. Un Dieu qui se détache de tous les autres et fait régner l’ordre et la justice dans le monde. L’Ancien et le Nouveau Testament, le Coran sont les textes et les sources de vie qui découlent de cette sensibilité monothéiste. Et enfin sur la Méditerranée est née vraiment la philosophie, dans la Grande Grèce bien avant qu’en Grèce, les premières polis sont nées autour du charme et du réalisme de la pensée pythagorienne, les premiers ordres qui ont consenti à plusieurs civilisations politiques de prendre forme. La paix et la guerre, le dialogue et la lutte ont fait l’histoire de cette mer, où se sont rencontrées et affrontées non seulement des "forces, des groupes opposés, mais justement la civilisation, la culture, les idées. La lutte en Méditerranée a été, et est encore, une lutte entre des philosophies, entre des visions du monde différentes, avant d’être un affrontement entre des intérêts opposés. Le caractère absolu qu’ont pris souvent ces luttes ne peut pas découler seulement du contraste d’intérêts, quoique important, mais il recèle quelque chose de plus profond et radical qui a amené maintes fois à un manque de reconnaissance réciproque, a une lutte pour la vie et pour la mort. Seulement la lutte culturelle peut amener à cela, seulement la lutte pour l’identité peut pousser à une destruction réciproque

Combien de fois cela a été vraiment compris par les dirigeants politiques, surtout européens? Peu de fois. Beaucoup de mots ont été prononcés à ce propos mais bien rarement ils ont été suivi des faits. L’interprétation générale donnée aux différentes guerres et luttes qui se sont succédé se base surtout sur des raisons géopolitiques et sur des tentatives de recomposer les équilibres économico-politiques. Tout cela est important mais il ne suffit pas au contraire tout cela a amené à une impasse.

Voilà pourquoi le dialogue entre les cultures est décisif. Il est décisif en tant que condition pour une paix véritable; et donc pour un développement possible, pour une croissance des sociétés civiles dans un processus de reconnaissance réciproque. Les conditions de ce dialogue existent, justement parce que les cultures de la Méditerranée et surtout les cultures ayant une profonde racine religieuse peuvent parvenir à un accord. La pensée grecque, la juive, celle chrétienne et musulmane sont toutes des pensées occidentales dès leur origine et donc peuvent retrouver le chemin pour découvrir les idéaux communs. Mais même si cette ambition manque, les différentes cultures qui s’ouvrent sur la Méditerranée peuvent retrouver – doivent retrouver – le terrain pour une confrontation qui leur fait découvrir les raisons de l’autre. Il ne doit pas s’agir d’un dialogue général et idéologique, mais d’un dialogue qui se base sur de véritables expériences de culture, sur les savoirs qui ont été transmis et puis développés dans le travail concret, sur les traces d’un passé encore vivant, dans la science de la mer, de l’environnement, de l’archéologie commune, de la nourriture, dans les savoirs qui produisent technique et transformation.

Avec quelles instruments? Comme l’Europe peut aider ce processus?

Malgré les intentions politiques affichées par la mise en place du processus de Barcelone en novembre 95, ainsi l’actuel défi de l’Europe est-il de se consolider, tout en:

- préservant ses intérêts à l’Est et dans les pays d’Europe centrale ;

- en développant dans les pays riverains de la Méditerranée un authentique partenariat.

Après la chute du mur de Berlin il y avait urgence à faire revenir les pays d’Europe de l’Est au sein d’une zone démocratique. Avec la Méditerranée les enjeux géopolitiques sont tout autres, et pourtant si semblables. Au péril totalitaire se substituent la possible montée des intégrismes religieux générés par un état d’extrême pauvreté. En effet, force est de constater que le Bassin Méditerranéen est une zone de tous les dangers.

Il convient de garder à l’esprit que la Méditerranée est la route vers les réservés énergétiques du Moyen Orient. Quel avenir pour les grands producteurs énergétiques du Moyen Orient en cas de montée des intégrismes? Quel avenir pour les grands pays dépendants de ces fournisseurs d’énergie. Il faut malgré tout rendre au processus de Barcelone l’hommage qui lui revient.

Au debut du XXI siècle, il est de bon ton de décrier le processus de Barcelone en ne mettant en exergue que ses insuffisances et en constant que l’Union Européenne n’a pas fait assez pour l’Europe du Sud.

Toutefois en 1995 ce qu’a tenté de mettre en place le processus de Barcelone a pu être considéré comme un projet fou par certains et comme un miracle de la diplomatie par d’autres toujours est-il que même avec ses lacunes le processus de Barcelone est désormais le coeur de la politiques euroméditerranéenne et donc une référence incontournable. Or la mise à niveau du Sud, voire la conquête de nouvelles richesses économiques, passe impérativement par la stabilité politique des Etats.
La paix, la stabilité et la prospérité sont d’ailleurs les objectifs essentiels de la conférence de Barcelone. La mise en place de la ligne budgétaire MEDA malgré ses insuffisances a permis le regroupement de différentes aides financières dans une ligne unique.

Par ce geste on trouve l’expression de la vision globale et unitaire de la Méditerranée mais ce n’est plus suffisants.
Barcelone a péché par :

Alors que le processus proposait des solutions dans tous le domaines, social, culturel, et économique, seul est ressorti le volet économique illustré par MEDA dont on connaît les insuffisances et les dysfonctionnements.

En 5 ans un décalage s’est fait jour entre les ambitions affichées en 1995 et les dispositifs mis en place. En effet le processus d’actions conçu grâce à MEDA s’est très vite révélé inadapté. Actuallement, la libéralisation du commerce mondial remet en cause la conception commerciale de réciprocité qui prévalait avec le Sud.

La mondialisation telle qu’elle se présente aujourd’hui ne peut se réduire ni à un effacement des frontières ni à une simple zone de libre échange économique, c’est une restructuration à l’échelle mondiale autour de trois pôles économiques forts luttant chacun pour étendre leur influence :

Les Etats Unis mobilisent plus de crédit en direction de la Méditerranée que ne le fait l’Union Européenne. Aussi le dynamisme affiché par les pôles nord américains et asiatiques devrait-il inciter l’Union européenne à chercher le meilleur moyen d’étendre le sien. Avec l’avènement pour l’an 2010 de la zone de libre échange c’est la fin d’une logique dite de préférence. Or la zone de libre échange n’est pas une fin en soi, on peut donc aisément en déduire que les projets en cours et accords politiques actuels sont plus qu’insuffisants.

Les lenteurs administratives sont telles que les projets risquent d’être obsolètes ou caducs lorsque sont enfin débloquées les sources prévues de financement. Il manque donc tout un cadre juridico-administratif permettant, a minima, de faire fonctionner le processus de Barcelone ou mieux, d’être réellement adapté au 21e siècle. Le progrès économique est un outil qui à lui seul ne peut suffire. Il ne s’agit pas de renoncer à MEDA II mais de lui donner des moyens adaptés à un fonctionnement véritable.

Ainsi seule une très forte volonté politique des Etats membres de l’Union Européenne permettra une avancée positive au Sud.

Actuellement, le danger qui guette le projet euro-méditerranéen est sa réduction à sa seul dimension èconomique. Crèer une zone de libre circulation des biens, de marchandises et même des hommes ne saurait suffire sans la mise en place de mesures d’accompagnement adaptées visant à éviter les écuils d’une mise à niveau trop rapide, voire forcée. On sait en effet que, confrontés à une forte concurrance des produits européens, les PTM devront fortement modifier leurs systèmes économiques et on peut se demander ce qui pourra compenser la perte des recettes fiscales due à l’abaissement des barrières douanières dans des pays où les taxes sur le commerce exterieur apportent une contribution substentielle aux finances publiques. Ainsi y a-t-il urgence à ce que la mise à niveau prenne en compte dans le cadre plus large, d’un solide partenariat politique, les incidences sociales (augmentation du chômage à court terme), humains (risque d’immigration sauvages accentué), cultuel (risque de montée des intégrismes) et culturel (risque de recul de la formation et de l’education) ne sauraient faire éclater.

Désormais, le sens de l’approche des pays méditerranéens doit changer. On ne peut plus analyser en termes de faiblesse les principales caractéristiques de ces pays. En effet devant le dynamisme affiché par le trois pôles précités il s’avère que la chance du pôle européen : c’est la Méditerranée.

L’Union Européenne doit être consciente :

- qu’en 2015, 88 des 90 millions de nouveaux européens habiteront la rive Sud ;

- en 2020 les 12 pays du sud méditerranéen compteront 330 millions d’habitants contre 375 en Europe. A ce moment là au Sud les moins de 25 ans représenteront un peu plus de 40% de la population tandis qu’au nord la tranche d’âge la plus représentée sera celles des plus de 75 ans.

Il convient donc de gérer le changement : tout comme la politique de l’UE est passée du Commerce à l’Aide, il faut désormais passer à plus d’Aide c’est à dire une augmentation très substantielle que l’UE doit accorder aux pays du Sud ainsi qu’au développement de l’investissement privé.

C’est le recours à la société civile, à la création, au soutien et au développement des PME dans un cadre de coopération décentralisée.

Lorsqu’on connaît la lenteur de déblocage des fonds affectés à MEDA (soit environ 3 – 4 ans) et ce que cela représente en réalité : 1 euro par habitant et par an, cela s’avèrent bien dérisoires. On comprend mieux alors le nécessaire recours des pays du Sud et du Sud-Est de l’Europe aux grands systèmes bancaires internationaux que sont le Fonds Monétaire International, la Banque mondiale ou grandes banques privées…Ainsi à moins de vouloir être à tout prix à contresens de l’Histoire, il serait aberrant que seuls les investissement privés Européens, fassent défaut à l’Europe du Sud et du Sud-Est. Il convient donc, à mon sens, que tout comme certains pays (Grèce, Espagne, Portugal) l’ont été, le financement de la mise à niveau des 12 pays tiers méditerranéens et des Balkans se fasse en grande partie grâce à l’Union Européenne, d’où la nécessité de MEDA II.

Cependand on ne sauraient lorsqu’on aborde le volet méditerranéen, se limiter aux seuls aspects économiques. L’actuel décalage de perception politique est porteur de dangers d’implosion. (du type crise des Balkans)

D’autres défis subsisten : l’Europe se doit de faire un pas vers la Méditerranée et les Balkans , on ne pourra pas indéfiniment faire l’économie d’une solution au Problème Agricole. Quelle alternative pourrons-nous proposer à la pauvreté endémique de certains de ces états qui sera encore aggravée par la montée du chômage que ne manquera pas d’entraîner à court terme la mise à niveau économique. Nous nous devons d’offrir un rêve politique fort aux populations du Sud et du Sud-Est de l’Europe, une raison d’espérer encore en l’Europe.