FORUM CIVIL EUROMED
VALENCIA,12-14 AVRIL
2002
«La culture : points de rencontre»
Intervention
du prof. arch. Michele Capasso
et
Directeur Général de l’Académie de la Mediterranée
Mesdames et messieurs,
chers collègues,
C’est
avec une profonde émotion que je vois réunis, dans la ville historique de
Valencia, tant d’illustres amis de notre Fondation , qui nous ont accompagnés tout au long de
notre parcours qui aujourd’hui –dans un
moment très difficile pour le Moyen Orient - voit se réaliser une étape
importante : donner à l’espace euro-méditerranéen dignité, représentativité et
légitimité et restituer à la culture, à la science, à la recherche, au dialogue
interculturel et inter-religieux le rôle indispensable de “force” en mesure
d’avoir une incidence sur les processus de l’histoire, de la même manière que
l’économie et la politique.
En
regardant, ce matin, la mer Méditerranée, je me suis rappelé que cette mer n’a
jamais été une mer ordinaire qui sépare l’Europe du Proche-Orient et de
l’Afrique ou, pour reprendre Braudel, une simple fissure de la croute terrestre
qui s’étend de Gibraltar à Suez et à la Mer Rouge.
Sur cette mer se tourne
des terres très différentes les unes des autres, ville et désert, nomades et
sédentaires, modes de vie lointains les uns des autres, pétris d’une certaine
manière de dualismes et des hostilités ataviques : sur la Méditerranée se
sont développées des civilisations modernes et des civilisations
traditionnelles, des villes très modernes et des métropoles ancrées dans un
passé immobile qui sont restées telles s’opposant dans la haine et
l’inimitié ; mais la Méditerranée est surtout une mer qui a formé des
civilisations, les a divisées et unies. Des premières civilisations, nées dans
la Méditerranée Orientale, jusqu’aux cultures cosmopolites nées autour de
l’Egypte, de la Mésopotamie, de l’Asie mineure ; jusqu’à Rome qui eut la
force de tronquer la tentative « orientale » de s’emparer de la
Méditerranée et qui s’étendit au delà.
C’est
en Méditerranée que sont nées les grandes cultures qui ont donné son identité à
l’Europe et aux Pays du Sud qui s’y baignent. Nous ne devons pas oublier
ceci : c’est sur les côtes de la Méditerranée qu’est née l’idée du
principe de l’unité des contraires qui faisait dire à
Héraclite « c’est de ce qui est en lutte que naît la plus belle
harmonie : tout se réalise à travers la discorde. » Mais surtout
l’idée d’un Dieu qui unit la sensibilité chrétienne, juive, arabe. Un Dieu qui
se détache des autres et fait régner l’ordre et la justice dans le monde :
le Dieu des textes sacrés comme le Coran, l’Ancien et le Nouveau Testament.
Et c’est enfin sur la
Méditerranée qu’est réellemnt née la philosophie et que sont nées les premières
« polis » autour de la fascination et du sens de réalisme de la
pensée de Pythagore. Paix et guerre, dialogue et lutte ont fait l’histoire de
cette mer, où se sont rencontrées non seulement « forces », groupes
opposés, mais aussi civilisation, cultures et idées.
La
lutte dans la Méditerranée a été, et est toujours une lutte entre philosophies,
entre visions du monde avant même, peut-être, d’être une lutte entre intérêts
divers.
Le caractère absolu
qu’ont eu tant de fois ces luttes, ne peut germer du seul contraste d’intérêt,
quel que central qu’il soit, mais porte en lui quelque chose de plus radical et
de plus profond : l’absence de reconnaissance réciproque, la lutte pour
l’identité qui a pu conduire à la volonté de destruction réciproque. Seul
l’engagement de la culture et de la société civile peut dépasser tout cela.
Combien
de fois cela a-t-il été compris par les classes politiques dirigentes, surtout
européenne ?
Peu de fois ;
nombre de mots sont prononcés à dessein, mais peu d’actes suivent ces mots.
L’interprétation générale des différents heurts et guerres qui se sont succédés
repose constamment sur des raisons géopolitiques et sur des tentatives
successives de pures recompositions d’équilibres économico-politiques. Tout
cela est important mais ne suffit pas et a même conduit au final à une impasse.
Voilà
pour quelles raisons – sourtout aujourdhui et après l’11 septembre 2001 - le
dialogue entre les cultures devient décisif. Décisif comme condition d’une paix
véritable et donc d’un développement possible ; d’une croissance des sociétés
civiles dans un processus de reconnaissance réciproque.
Les conditions de ce
dialogue existent aussi parce que les cultures de la Méditerranée, surtout
celles qui ont de profondes racines religieuses, peuvent parvenir à une
entente. La pensée grecque, juive, chrétienne et musulmane sont occidentales
depuis les origines et peuvent trouver la voie pour la redécouverte d’idéaux
communs. Mais, même sans avoir une ambition aussi prononcée, les différentes
cultures qui donnent sur la Méditerranée peuvent retrouver -
doivent retrouver! – le terrain d’une confrontation qui permette de faire
découvrir à chacun, les raisons de l’autre.
Il ne doit pas s’agir
d’un dialogue général et idéologique, mais d’un dialogue construit sur la base
d’expériences culturelles effectives, dans les savoirs qui se sont développés,
dans le travail concret sur les traces d’un passé encore vivant, dans la
science de la mer, de l’environnement de l’archéologie commune, de
l’alimentation, dans les savoirs productifs de techniques et de transformation.
Pour mettre en place ce projet ambitieux il est important de constituer « une maison commune » pour le peuple de la méditerranée : il faut ordonner et valoriser toutes les pièces de la mosaïque colorée de la Méditerranée.
De là dérive,
l’extraordinaire importance de notre Fondation avec ses Sections autonomes
comme l’Académie de la Méditerranée et Maison de la Méditerranée : lieu destiné par sa vocation même à devenir
le terrain commun de la confrontation entre le Societés Civiles euroméditerranéennes.
La Conférence
euro-méditerranéenne de Barcelone du mois de novembre 1995 a réalisé le
partenariat euro-méditerranéen en suscitant d’autres moments de dialogues, mais
elle est resté presque silencieuse quant à l’aspect culturel bien qu’en ayant
ressenti sa nécessité en introduisant le désormais célèbre « troisième
pilier », dédié justement à l’implication de la société civile dans ce
processus important. La prochaine Conference euroméditerranéenne de Valence
doit trover une solution et rélencer le volet culturel.
Le I
Forum Civil Euromed, organisé par l’Institut Català de la Mediterrania en
collaboration – entre les autres - avec la Fondation Laboratorio Mediterraneo-
que je préside- a fourni une impulsion importante pour l’identification des
besoins de la société civile euro-méditerranéenne dans la perspective concrète
de mettre en place des actions spécifiques de partenariat dans les différentes
disciplines.
Le 10 octobre 1998, la Fondation Laboratorio
Mediterraneo même, a constitué l’Académie
de la Méditerranée et Maison de la Méditerranée, tâche qui lui avait été
confiée en Décembre 1997 par le II Forum Civil Euromed –organisé par cette
dernière- auquel participèrent 2248 personnes représentant 36 pays, dans
l’optique d’ouvrir de manière résolumment nouvelle le dialogue entre les
cultures et dans les sens que nous avons déjà évoqués, entre les traditions,
les savoirs les techniques, les modes de vie, l’histoire concrète de la
société.
L’Académie de la Méditerranée pendant la
prochaine Conference euroméditerranéenne de Valence, en consideration de la
grave situation entre Israel et Palestine, repropose une radiographie précise
de l’état du partenariat euro-méditerranéen, en se référant en particulier à la
rive Sud. Les thèmes, qu’il faut selon nous aborder sont les suivants :
1.
La constitution dans l’aire euro-méditerranéenne
d’une aire de libre échange d’ici 2010, avec les perspectives de développemnt
que ce nouveau défi posé par le modèle de partenariat propose : dans ce
cas, il faut rappeler que les « marchandises ne marchent pas toutes
seules », elles sont elles-mêmes porteuses de dialogue et d’échanges de
cultures et de savoirs.
2.
Le grand potentiel qui nous est offert par la « Charte pour la paix et la
stabilité », afin de délimiter avec exactitude le rôle de la « Soft
Security » : c’est-à-dire cette « Sécurité coopérative »
qui confie la cogestion des tensions et des conflits en cours dans la région
méditerranéenne non seulement à des instruments politiques et militaires (voir la tragedie de cette solution en
Israel), mais avant tout, au dialogue interculturel qui devrait transformer
les différences, d’élément de conflit en ressource.
3.
Le nouveau rôle de la problématique
« Démocratie et droits de l’homme » soulignée par la conférence de
Stockholm avril 1999. Il faut revendiquer l’universalité des droits de l’homme
dans un monde global et promouvoir une politique des droits au-delà de
l’Etat-Nation, pour qu’elle devienne « la politique principale » des
nouveaux grands espaces sans frontières, sans conflits, comme devrait l’être
l’espace euro-méditerranéen.
4.
La nécessité que le dialogue entre les peuples
advienne à travers un nouvel équilibre qui ne peut pas être seulement
politique, mais qui autour de la politique puisse faire croître, tout en
l’alimentant, une nouvelle culture, capable d’assumer le rôle de
« Force » en mesure d’avoir une importance dans les processus de
l’histoire, aujourd’hui dominés uniquement par l’économie et par la politique.
L’extraordinaire
quantité d’adhésions qui sont parvenues à l’Académie, son articulation ancrée
dans les différents pays à travers les plus de 80 sièges détachés et les
reconnaissances officielles reçues, les délibérations votées et adoptées par
des États, Régions, Villes, Universités et organismes de 33 Pays représentant
officiellement plus de 150 millions de citoyens – montrent qu’elle a touché une
sensibilité existante et désireuse d’être rendue opérationnelle. Opérationnelle
même sur le terrain où le projet culturel devient prémice d’économie et de
développement : L’Académie – avec
les organismes qui lui sont rattachés : Euromedcity, association de
villes ; Isolamed, association d’îles et Almamed, association
d’universités –s’est appliquée à devenir un instrument économique pour les pays de la rive Sud à travers la
définition de projets « méditerranéens » en mesure d’accéder à des
Fonds européens prévus dans l’Agenda 2001 dans le cadre des politiques
d’internationalisation culturelle et économique.
L’Académie de la Méditerranée et Maison de la
Méditerranée va inaugurer son siège centrale à Naples le prochain mois de
juin : cette institution, soutenue adéquatement, constitue une ressource
pour l’Europe ( voir : medlab.euromedi.org )
Tout ce travail,
rendu possible grâce à l’engagement de nous tous, vu en grand, est d’une
importance décisive pour l’Europe qui s’élargit au-delà de ses frontières
traditionnelles. Elle a, et veut avoir une politique méditerranéenne qui est
une politique qui regarde elle-même et au-delà d’elle même. La confrontation
entre les cultures rendra plus facile cette politique, elle fera croître la
force des interlocuteurs possibles. L’Europe comme sujet politique dans un
monde qui devient globale doit absolument regarder la Méditerranée comme étant
la mer d’un grand développement, de paix, de civilisation.
L’Académie de la
Méditerrannée peut, avec une dot unique constituée par la « summa »
des dots de toutes les institutions prestigieuses et antiques qui la composent
– peut etre le pivot de cette possibilité qui voit la culture au coeur de ce
processus.
Hegel disait que
la liberté se développe et croît sur la mer : Sa prophétie peut devenir
vérité historique justement quand la globalisation en cours demande à chacun de
se souvenir de ses propres racines, et de les affirmer dans la reconnaissance
réciproque.