L’analyse que je propose ici s’inscrit dans une
vision historique générale de l’expansion capitaliste développée ailleurs, sur
laquelle je ne reviendrai pas ici ( 1). Dans cette vision le capitalisme a
toujours été, depuis l’origine, un système polarisant par nature, c’est à dire
impérialiste. Cette polarisation – c’est à dire la construction concomitante de
centres dominants et de périphéries dominées, et leur reproduction
s’approfondissant d’étape en étape – est immanente au procès d’accumulation du
capital opérant à l’échelle mondiale, fondé sur ce que j’ai appelé « la
loi de la valeur mondialisée ».
Dans cette théorie de l’expansion mondiale du
capitalisme les transformations qualitatives des systèmes d’accumulation d’une
phase à l’autre de son histoire façonnent à leur tour les formes successives de
la polarisation asymétrique centres/périphéries c’est à dire de l’impérialisme
concret. Le système mondial contemporain demeurera donc impérialiste
(polarisant) pour tout l’avenir visible, pour autant que la logique
fondamentale de son déploiement reste commandée par la dominance des rapports
de production capitalistes. Cette théorie associe donc impérialiste et procès
d’accumulation du capital à l’échelle mondiale que je considère comme ne
constituant alors qu’une seule réalité dont les différentes dimensions sont de
ce fait indissociables. Elle se différencie donc tant de la version vulgarisée
de la théorie léniniste de « l’impérialisme phase suprême du
capitalisme » (comme si les phases antérieures de l’expansion mondialisée
du capitalisme n’avaient pas été polarisantes) que des théories post
modernistes contemporaines qui qualifient la mondialisation nouvelle de
« post impérialiste » ( 2).
Dans son déploiement mondialisé l’impérialisme
s’était toujours conjugué au pluriel, depuis ses origines (le XVIe siècle)
jusqu’en 1945. Le conflit des impérialismes, permanent et souvent violent, a
occupé de ce fait une place aussi décisive dans la transformation du monde que
la lutte de classes à travers laquelle s’expriment les contradictions
fondamentales du capitalisme. Au demeurant luttes sociales et conflits des
impérialismes s’articulent étroitement et c’est cette articulation qui commande
le parcours du capitalisme réellement existant. Je signale également que
l’analyse que j’ai proposée à cet égard se sépare largement de celle de la
« succession des hégémonies ».
La seconde guerre mondiale s’est soldée par une
transformation majeure concernant les formes de l’impérialisme : la
substitution d’un impérialisme collectif associant l’ensemble des centres du
système mondial capitaliste (pour simplifier la « triade » : les
Etats Unis et leur province extérieure canadienne, l’Europe occidentale et
centrale, le Japon) à la multiplicité des impérialismes en conflit permanent.
Cette forme nouvelle de l’expansion impérialiste est passée par différentes
phases de son développement, mais elle est bien toujours présente. Le rôle
hégémonique éventuel des Etats Unis, dont il faudra alors préciser les bases
comme les formes de son articulation au nouvel impérialisme collectif, doit
être situé dans cette perspective. Ces questions posent problèmes, qui sont
précisément ceux que je souhaiterais traiter dans cet article.
Les Etats Unis ont tiré un bénéfice gigantesque de la
seconde guerre mondiale, qui avait ruiné ses principaux combattants – l’Europe,
l’Union soviétique,
Ce double avantage absolu a été néanmoins érodé dans
un temps relativement bref (deux décennies), par le double rattrapage,
économique pour l’Europe capitaliste et le Japon, militaire pour l’Union
soviétique. On se souviendra que ce recul relatif de la puissance des Etats
Unis a alimenté à l’époque une floraison de discours sur « le déclin
américain », et même la montée des hégémonismes alternatifs à venir
(l’Europe, le Japon, plus tard
C’est le moment où se situe le gaullisme. De Gaulle
considère que l’objectif des Etats Unis depuis 1945 est le contrôle de tout l’Ancien Monde
(« l’Eurasie »). Et que Washington est parvenu à avancer ses pions en
cassant l’Europe – l’Europe « vraie », de l’Atlantique à l’Oural,
c’est à dire incluant la « Russie soviétique » comme il disait – en
agitant le spectre d’une « agression » de Moscou à laquelle il ne
croyait pas. Son analyse était, à mon avis, réaliste et parfaite. Mais il était
à peu près le seul à le dire. La contre stratégie qu’il envisageait en
contrepoint de « l’atlantisme » promu par Washington, était fondée
sur la réconciliation franco-allemande, sur la base de laquelle la construction
d’une « Europe non américaine » pourrait être mise en chantier, en
ayant le soin de tenir à l’écart
S’agit-il donc d’une transformation qualitative
« définitive » (non conjoncturelle) ? Implique-t-elle forcément
un « leadership » des Etats Unis d’une manière ou l’autre ?
Avant de tenter de répondre à ces questions il est nécessaire d’expliciter avec
davantage de précision ce en quoi consiste le « projet » des Etats
Unis.
2. Le projet de
la classe dirigeante des Etats Unis : étendre la doctrine Monroe à toute
Ce projet, que je qualifierai sans grande hésitation
de démesuré, démentiel même, et de criminel par ce qu’il implique, n’est pas né
dans la tête du Président Bush junior, pour être mis en œuvre par une junte
d’extrême droite parvenue au pouvoir par une sorte de coup d’Etat, à la suite
d’élections douteuses.
Il est le projet que la classe dirigeante des Etats
Unis nourrit depuis 1945 et dont elle ne s’est jamais départie, même si,
d’évidence, sa mise en œuvre est passée par des hauts et des bas, a connu
quelques vicissitudes et a été ici et là mise en échec, et n’a pu être
poursuivie avec la cohérence et la
violence que celle-ci implique que dans certains moments conjoncturels comme le
nôtre, suite à l’effondrement de l’Union soviétique.
Le projet a toujours donné un rôle décisif à sa
dimension militaire. Il a été conçu après Potsdam comme je l’ai rappelé, fondé
sur le monopole nucléaire. Très rapidement les Etats Unis ont mis en place une
stratégie militaire globale, partagé
Le projet implique que la « souveraineté des intérêts nationaux
des Etats Unis » soit placé au dessus de tous les autres principes
encadrant les comportements politiques considérés comme des moyens
« légitimes » ; il développe une méfiance systématique à l’égard
de tout droit supranational. Certainement les impérialismes du passé ne s’étaient
pas comporté différemment et ceux qui cherchent à atténuer les responsabilités
– et les comportements criminels – de l’establishment des Etats Unis dans le
moment actuel, et leur trouver des « excuses » (5 ), reprennent ce même argument – celui
d’antécédents historiques indiscutables.
Mais c’est précisément ce qu’on aurait voulu voir
changer dans l’histoire et qui était amorcé depuis 1945. C’est parce que le conflit des impérialismes et le
mépris du droit international par les puissances fascistes avaient produit les horreurs
de la seconde guerre mondiale que l’ONU a été fondée sur un principe
nouveau proclamant le caractère illégitime de la guerre. Les Etats Unis,
dira-t-on, non seulement ont fait leur ce principe, mais de surcroît en ont été
largement les initiateurs précoces. Au lendemain de la première guerre mondiale
Wilson préconisait de refonder la politique internationale précisément sur des
principes autres que ceux qui, depuis le traité de Westphalie (1648) ont donné
à la souveraineté des Etats monarchiques puis des Nations plus ou moins
démocratiques ce caractère absolu remis en cause par le désastre auquel il a
conduit la civilisation moderne. Peu importe que les vicissitudes de la
politique intérieure des Etats Unis aient remis à plus tard la mise en œuvre de
ces principes. F. Roosevelt, et même son successeur H. Truman, ont bien joué un
rôle décisif dans le concept nouveau de multilatérialisme et la condamnation de
la guerre qui l’accompagne, qui est à la base de
Cette belle initiative – soutenue par les peuples du
monde entier à l’époque – qui représente effectivement un saut qualitatif et
ouvre la voie au progrès de la civilisation, n’a néanmoins jamais emporté la
conviction des classes dirigeantes des Etats Unis. Les autorités de Washington
se sont toujours senties mal à l’aise dans le concert de l’ONU et aujourd’hui
proclament brutalement ce qu’elles étaient contraintes de cacher
jusqu’ici : qu’elles n’acceptent pas le concept même d’un droit international supérieur à ce qu’elles
considèrent être les exigences de la défense de leurs « intérêts
nationaux ». Je ne crois pas qu’il soit acceptable de trouver des excuses
à ce retour à la vision que les Nazis avaient développée en leur temps en
exigeant la destruction de
La mise en œuvre du projet est passée nécessairement
par des phases successives façonnées par la réalité des rapports de force
particuliers qui les définissaient.
Dans l’immédiat après guerre le leadership américain
était non seulement accepté, mais même sollicité par les bourgeoises de
l’Europe et du Japon. Car si la réalité d’une menace « invasion
soviétique » ne pouvait convaincre que les faibles d’esprit, son invocation
rendait de bons services à la droite comme aux sociaux-démocrates talonnés par
leurs cousins-adversaires communistes. On pouvait alors croire que le caractère
collectif du nouvel impérialisme n’était dû qu’à ce facteur politique et que,
une fois le retard sur les Etats Unis rattrapé, l’Europe et le Japon
chercheraient à se débarrasser de la tutelle encombrante et désormais inutile
de Washington. Cela n’a pas été le cas. Pourquoi ?
Mon explication fait appel ici à la montée des
mouvements de libération nationale en Asie et en Afrique -l’ère de Bandoung
1955-1975 – (6 ) et au soutien que l’Union soviétique et
L’effondrement de l’Union soviétique mais tout
également l’essoufflement des régimes de nationalisme populiste issus de la
libération nationale ont évidemment permis au projet des Etats Unis de se
redéployer avec une extrême vigueur, entre autre au Moyen Orient, mais aussi
ailleurs en Afrique et en Amérique latine. Il reste que le projet demeure au
service de l’impérialisme collectif, jusqu’à un certain point tout au moins
(que je tenterai de préciser plus loin). Le gouvernement économique du monde
sur la base des principes du néo-libéralisme, mis en œuvre par le G7 et les
institutions à son service (l’OMC,
La classe dirigeante des Etats Unis proclame sans
retenue aucune qu’elle ne « tolèrera » pas la reconstitution d’une
puissance économique et militaire quelconque capable de mettre en question son
monopole de domination de
En premier lieu
En second lieu
L’Europe vient en troisième position dans cette
vision globale des nouveaux maîtres du monde. Mais ici l’establishment nord
américain ne paraît pas inquiet, tout au moins jusqu’à ce jour. L’atlantisme
inconditionnel des uns (
On peut maintenant revenir sur notre question
centrale :nature et solidité éventuelle de l’impérialisme collectif de la
triade, contradictions et faiblesses de son leadership par les Etats Unis.
3.
Impérialisme collectif de la
triade et hégémonisme des Etats Unis :
leur articulation et leurs contradictions
Le monde d’aujourd’hui est militairement unipolaire.
Simultanément des fractures semblent se dessiner entre les Etats Unis et
certains des pays européens pour ce qui concerne la gestion politique d’un
système mondialisé désormais aligné dans son ensemble sur les principes du
libéralisme, en principe tout au moins. Ces fractures sont-elles seulement
conjoncturelles et de portée limitée, ou annoncent-elles des changements
durables ? Il faudra donc analyser
dans toute leur complexité à la fois les logiques qui commandent le déploiement
de la phase nouvelle de l’impérialisme collectif (les rapports Nord-Sud dans le
langage courant) et les objectifs propres du projet des Etats Unis. Dans cet
esprit j’aborderai succinctement et successivement cinq séries de questions.
·
Concernant la nature des
évolutions qui ont pu conduire à la constitution du nouvel impérialisme
collectif
Je suggère ici que la formation du nouvel
impérialisme collectif trouve son origine dans la transformation des conditions
de la concurrence. Il y a encore quelques décennies les grandes firmes
livraient leurs batailles concurrentielles pour l’essentiel sur les marchés
nationaux, qu’il s’agisse de celui de Etats Unis (le plus grand marché national
au monde) ou même sur ceux des Etats européens (en dépit de leur taille
modeste, ce qui les désavantageait par rapport aux Etats Unis). Les vainqueurs
des « matchs » nationaux pouvaient se produire en bonne position sur
le marché mondial. Aujourd’hui, la taille du marché nécessaire pour l’emporter
au premier cycle de matchs approche des 500-600 millions de
« consommateurs potentiels ». La bataille doit donc être livrée
d’emblée sur le marché mondial et gagnée sur ce terrain. Et ce sont ceux qui
l’emportent sur ce marché qui s’imposent alors et de surcroît sur leurs
terrains nationaux respectifs. La mondialisation approfondie devient le cadre
premier de l’activité des grandes firmes. Autrement dit dans le couple
national/mondial les termes de la causalité sont inversés : autrefois la
puissance nationale commandait la présence mondiale, aujourd’hui c’est
l’inverse. De ce fait les firmes transnationales, quelle que soit leur
nationalité, ont des intérêts communs dans la gestion du marché mondial. Ces
intérêts se superposent aux conflits permanents et mercantiles qui définissent
toutes les formes de la concurrence propres au capitalisme, quelles qu’elles
soient.
La solidarité des segments dominants du capital
transnationalisé de tous les partenaires de la triade est réelle, et s’exprime
par leur ralliement au néo-libéralisme globalisé. Les Etats Unis sont vus dans
cette perspective comme les défenseurs (militaires si nécessaire) de ces
« intérêts communs ». Il reste que Washington n’entend pas
« partager équitablement » les profits de son leadership. Les Etats
Unis s’emploient au contraire à vassaliser leurs alliés, et dans cet esprit ne
sont prêts à consentir à leurs alliés subalternes de la triade que des
concessions mineures. Ce conflit d’intérêts du capital dominant est-il appelé à
s’accuser au point d’entraîner une rupture dans l’alliance atlantique ?
Pas impossible, mais peu probable.
·
Concernant la place des
Etats Unis dans l’économie mondiale
L’opinion courante, est que la puissance militaire
des Etats Unis ne constituerait que le sommet de l’iceberg, prolongeant une
supériorité de ce pays dans tous les domaines, notamment économiques, voire
politiques et culturels. La soumission à l’hégémonisme auquel il prétend serait
donc de ce fait incontournable.
Je prétends, en contrepoint que, dans le système de
l’impérialisme collectif les Etats Unis ne disposent pas d’avantages
économiques décisifs, le système productif des Etats Unis est loin d’être
« le plus efficient du monde ». Au contraire presque aucun de ses
segments ne serait certain de l’emporter sur ses concurrents sur un marché
véritablement ouvert comme l’imaginent les économistes libéraux. En témoigne le
déficit commercial des Etats Unis qui s’aggrave d’année en année, passé de100
milliards de dollars en 1989 à 500 en 2002. De surcroît ce déficit concerne
pratiquement tous les segments du système productif. Même l’excédent dont
bénéficiaient les Etats Unis dans le domaine des biens de haute technologie,
qui était de 35 milliards en
En fait les Etats Unis ne bénéficient d’avantages
comparatifs établis que dans le secteur des armements, précisément parce que
celui-ci échappe largement aux règles du marché et bénéficie du soutien de
l’Etat. Sans doute cet avantage entraîne-t-il quelques retombées pour le civil
(Internet en constitue l’exemple le plus connu), mais il est également à
l’origine de distorsions sérieuses qui constituent des handicaps pour beaucoup
de secteurs productifs.
L’économie nord américaine vit en parasite au
détriment de ses partenaires dans le système mondial. « Les Etats Unis
dépendent pour 10 % de leur consommation industrielle des biens dont
l’importation n’est pas couverte par des exportations de produits
nationaux » comme le rappelle Emmanuel Todd (9). Le monde produit, les Etats Unis (dont l’épargne
nationale est pratiquement nulle) consomment. « L’avantage » des
Etats Unis est celui d’un prédateur dont le déficit est couvert par l’apport
des autres, consenti ou forcé. Les moyens mis en œuvre par Washington pour
compenser ses déficiences sont de nature diverses : violations
unilatérales répétées des principes du libéralisme, exportations d’armements,
recherche de sur-rentes pétrolières (qui supposent la mise en coupe réglée des
producteurs, l'un des motifs réels des guerres d’Asie centrale et d’Irak). Il
reste que l’essentiel du déficit américain est couvert par les apports en
capitaux en provenance de l’Europe et du Japon, du Sud (pays pétroliers riches
et classes compradore de tous les pays du tiers monde, plus pauvres
inclus), auquel on ajoutera la ponction
exercée au titre du service de la dette imposée à la presque totalité des pays
de la périphérie du système mondial.
La croissance des années Clinton, vantée comme étant
le produit du « libéralisme » auquel l’Europe aurait malheureusement
trop résisté, est en fait largement factice et en tout cas non généralisable,
puisqu’elle repose sur des transferts de capitaux qui impliquent la stagnation
des partenaires. Pour tous les segments du système productif réel, la
croissance des Etats Unis n’a pas été meilleure que celle de l’Europe. Le
« miracle américain » s’est
exclusivement alimenté de la croissance des dépenses produites par
l’aggravation des inégalités sociales (services financiers et personnels :
légions d’avocats et de polices privées etc …). En ce sens le libéralisme de
Clinton a bel et bien préparé les conditions qui ont permis l’essor
réactionnaire et la victoire ultérieure de Bush fils.
Les causes qui sont à l’origine de l’affaiblissement
du système productif des Etats Unis sont complexes. Elles ne sont certainement
pas conjoncturelles, pouvant de ce fait être corrigées par exemple par
l’adoption d’un taux de change correct, ou par la construction de rapports
salaires/productivités plus favorables. Elles sont structurelles. La médiocrité
des systèmes de l’enseignement général et de la formation, et le préjugé tenace
favorisant systématiquement le « privé » au détriment du service
public, comptent parmi les raisons majeures de la crise profonde que traverse
la société des Etats Unis.
On devrait s’étonner donc que les Européens, loin de
tirer les conclusions que le constat des insuffisance de l’économie des Etats
Unis impose, s’activent au contraire à les imiter. Là également le virus
libéral n’explique pas tout, même s’il remplit quelques fonctions utiles pour
le système, en paralysant la gauche. La privatisation à outrance, le
démantèlement des services publics ne pourront que réduire les avantages
comparatifs dont bénéficie encore la « vieille Europe » (comme la
qualifie Bush). Mais quels que soient les dommages qu’elles occasionneront à
long terme, ces mesures offrent au capital dominant, qui vit dans le court
terme, l’occasion de profits supplémentaires.
·
Concernant les objectifs
propres du projet des Etats Unis
La stratégie hégémoniste des Etats Unis se situe dans
le cadre du nouvel impérialisme collectif.
Les « économistes (conventionnels) » ne
disposent pas de l’outillage analytique que leur permettrait de saisir toute
l’importance du premier de ces objectifs. Ne les entend-on pas répéter ad
nauseam que dans « la nouvelle économie » les matières premières que
fournit le tiers monde sont appelées à perdre leur importance et que de ce fait
celui-ci est de plus en plus marginal dans le système mondial. En contrepoint à
ce discours naïf et creux (Le Mein Kampf
de la nouvelle administration de Washington (10) avoue que les Etats Unis se
sont donnés le droit de s’emparer de toutes les ressources naturelles de
Par ailleurs un nombre
respectable de pays du Sud sont appelés à devenir des producteurs industriels
de plus en plus importants tant pour leurs marchés internes que sur le marché
mondial. Importateurs de technologies, de capitaux, mais aussi concurrents à
l'exportation, ils sont appelés à peser dans les équilibres économiques
mondiaux d'un poids grandissant. Et il ne s'agit pas seulement de quelques pays
de l'Asie de l'Est (comme
Dans cette perspective
l'establishment américain a parfaitement compris que, dans la poursuite de son
hégémonisme, il disposait de trois avantages décisifs sur ses concurrents
européen et japonais: le contrôle des ressources naturelles du globe, le
monopole militaire, le poids de la « culture anglo saxonne » par laquelle
s'exprime préférentiellement la domination idéologique du capitalisme. La mise
en oeuvre systématique de ces trois avantages éclaire beaucoup d'aspects de la
politique des Etats Unis, notamment les efforts systématiques que Washington
poursuit pour le contrôle militaire du Moyen Orient pétrolier,sa stratégie
offensive à l’ égard de
·
Concernant
les conflits qui opposent, dans ce cadre, les Etats Unis et leurs partenaires
de
Si les partenaires de
La
super puissance américaine vit au jour le jour grâce au flux des capitaux qui
alimente le parasitisme de son économie et de sa société. La vulnérabilité des
Etats Unis constitue, de ce fait, une menace sérieuse pour le projet de
Washington.
L’Europe en particulier, mais
le reste du monde en général, devront choisir entre l’un ou l’autre des deux
options stratégiques suivantes : placer le « surplus » de leurs
capitaux (« d’épargne ») dont ils disposent pour financer le déficit
des Etats Unis (de la consommation, des investissements et des dépenses
militaires) ; ou conserver et investir chez eux ce surplus.
Les économistes conventionnels
ignorent le problème, ayant fait l’hypothèse (qui n’est qu’un non sens) que la
« mondialisation » ayant supprimé les Nations, les grandeurs
économiques (épargne et investissement) ne peuvent plus être gérées « aux
niveaux nationaux ». Il s’agit là d’un raisonnement tautologique qui
implique dans ses prémisses mêmes les conclusions auxquelles on souhaite
parvenir : justifier et accepter le financement du déficit des Etats Unis
par les autres puisque, au niveau mondial, on retrouve bien l’égalité
épargne-investissement !
Pourquoi donc une telle ineptie
est-elle acceptée ? Sans doute les équipes
« d’économistes-savants » qui encerclent les classes politiques
européennes (et autres, russes et chinoises) de droite comme de la gauche
électorale sont-elles elles mêmes victimes de leur aliénation économiciste, de
ce que j’appelle le « virus libéral ». Au delà, à travers cette
option s’exprime en fait le jugement politique du grand capital
transnationalisé qui considère que les avantages procurés par la gestion du
système mondialisé par les Etats Unis pour le compte de l’impérialisme
collectif l’emportent sur ses inconvénients : le tribut qu’il faut payer à
Washington pour en assurer la permanence. Car il s’agit bien là d’un tribut et
non d’un « placement » de bonne rentabilité garantie. Il y a des pays
qualifiés de « pays pauvres endettés » qui sont toujours contraints
d’assurer le service de leur dette quelqu’en soit le prix. Mais il y a aussi un
« pays puissant endetté» qui dispose des moyens qui lui permettront de
dévaloriser sa dette s’il le juge nécessaire.
L’autre option consisterait
donc pour l’Europe (et le reste du monde) à mettre un terme à la transfusion en
faveur des Etats Unis. Le surplus pourrait alors être utilisé sur place (en
Europe) et relancer l’économie. Car la transfusion exige la soumission des
Européens à des politiques « déflationnistes » (terme impropre du
langage de l’économie conventionnelle) – je dirai
« stagnationnistes » - de manière à dégager un surplus d’épargne
exportable. Elle fait dépendre une reprise en Europe – toujours médiocre - de celle – soutenue artificiellement – des
Etats Unis. En sens inverse la mobilisation de ce surplus pour des emplois
locaux en Europe permettrait de relancer simultanément la consommation (par la
reconstruction de la dimension sociale de la gestion économique dévastée par le
virus libéral), l’investissement – et particulier dans les technologies
nouvelles (et financer leurs recherches), voire la dépense militaire (mettant
un terme aux « avantages » des Etats Unis dans ce domaine). L’option
en faveur de cette réponse au défi implique un rééquilibrage des rapports
sociaux en faveur des classes travailleuses. Conflits des Nations et luttes
sociales s’articulent de cette manière. En d’autres termes le contraste Etats
Unis/Europe n’oppose pas fondamentalement les intérêts des segments dominants
du capital des différents partenaires. Il résulte avant tout de la différence
des cultures politiques.
·
Concernant
les questions de théorie que les réflexions précédentes suggèrent
La complicité-concurrence entre
les partenaires de l’impérialisme collectif pour le contrôle du Sud – le
pillage de ses ressources naturelles et la soumission de ses peuples – peut
être analysée à partir d’angles de visions différentes. Je ferai, à cet égard,
trois observations qui me paraissent majeures.
Première observation : le
système mondial contemporain, celui que je qualifie d’impérialiste collectif,
n’est pas « moins » impérialiste que les précédents. Il n’est pas un
« Empire » de nature « post capitaliste ». J’ai proposé ailleurs une critique des
formulations idéologiques de « déguisement » qui alimentent le
discours dominant de « l’air du temps » (11).
Seconde observation : j’ai
proposé une lecture de l’histoire du capitalisme, mondialisé dès l’origine,
axée sur la distinction entre les différentes phases de l’impérialisme (des
rapports centres/périphéries). Il existe bien entendu d’autres lectures de
cette même histoire, notamment celle qui s’articule autour de la
« succession des hégémonies » (12).
J’ai quelques réserves à
l’égard de cette dernière lecture.
D’abord et pour l’essentiel
parce qu’elle est « occidentalocentrique » dans ce sens qu’elle
considère que les transformations qui opèrent au cœur du système, dans ses
centres, commandent d’une manière décisive – et presqu’exclusive – l’évolution
globale du système. Je crois que les réactions des peuples des périphéries au
déploiement impérialiste ne doivent pas être sous estimées. Car elles ont
provoqué ne serait-ce que l’indépendance des Amériques, les grandes révolutions
faites au nom du socialisme (Russie, Chine), la reconquête de l’indépendance
par les pays asiatiques et africains, et je ne crois pas qu’on puisse rendre
compte de l’histoire du capitalisme mondial sans tenir compte des
« ajustements » que ces transformations ont imposé au capitalisme
central lui même.
Ensuite parce que l’histoire de
l’impérialisme me paraît davantage avoir été faite à travers le conflit des
impérialismes que par le type « d’ordre » que des hégémonies
successives auraient imposé. Les périodes « d’hégémonie » apparente
ont toujours été fort brèves et l’hégémonie en question très relative.
Troisième observation :
mondialisation n’est pas synonyme « d’unification » du système
économique par « l’ouverture dérégulée des marchés ». Cette dernière
– dans ses formes historiques successives (« la liberté du commerce »
hier, la « liberté d’entreprise » aujourd’hui) n’a jamais constitué
que le projet du capital dominant. Dans la réalité ce projet a presque toujours
été contraint de s’ajuster à des exigences qui ne relèvent pas de sa logique
interne exclusive et propre. Il n’a donc jamais pu être mis en œuvre autrement
que dans des moments brefs de l’histoire. Le « libre échange » promu
par la puissance industrielle majeure de son époque –
4.
Le
Moyen Orient dans le système impérialiste
1-Le Moyen Orient, avec désormais ses extensions en
direction du Caucase et de l’Asie Centrale ex soviétiques, occupe une position
d’une importance particulière dans la géostratégie/géopolitique de
l’impérialisme et singulièrement du projet hégémoniste des Etats Unis. Il doit
cette position à trois facteurs : sa richesse pétrolière, sa position
géographique au cœur de l’Ancien Monde, et le fait qu’il constitue désormais le
« ventre mou » du système mondial.
L’accès au pétrole à bon marché relatif est vital
pour l’économie de la triade dominant ; et le meilleur moyen de voir cet
accès garanti consiste, bien entendu, à s’assurer le contrôle politique de la
région.
Mais la région tient son importance tout également à
sa position géographique, au centre de l’ancien Monde, à égale distance de
Paris, Pékin, Singapour, Johannesburg. Dans les temps anciens le contrôle de ce
lieu de passage obligé avait donné au Califat le privilège de tirer le meilleur
des bénéfices de la mondialisation de l’époque (14). Après la seconde guerre
mondiale la région, située sur le flanc sud de l’URSS, occupait de ce fait une
place de choix dans la stratégie d’encerclement militaire de la puissance
soviétique. Et la région n’a pas perdu son importance, en dépit de
l’effondrement de l’adversaire soviétique ; en s’y installant les Etats
Unis parviendraient simultanément à vassaliser l’Europe, dépendante pour son
ravitaillement énergétique, et à soumettre
Les efforts déployés avec continuité et constance par
Washington depuis 1945 pour s’assurer le contrôle de la région – et en exclure
les Britanniques et les Français – n’avaient jusqu’ici pas été couronnés de
succès. On se souvient de l’échec de leur tentative d’associer la région à
l’OTAN par le biais du pacte de Bagdad, comme plus tard de la chute du Shah
d’Iran, l’un de leurs alliés parmi les plus fidèles.
La raison en est que tout simplement le projet du
populisme nationaliste arabe (et iranien) entrait de plein fouet en conflit
avec les objectifs de l’hégémonisme américain. Ce projet arabe avait l’ambition
certaine d’imposer la reconnaissance par les Puissances de l’indépendance du
monde arabe. C’était le sens du « non alignement », formulé dès 1955
à Bandoung par l’ensemble des mouvements de libération des peuples d’Asie et
d’Afrique, qui avaient le vent en poupe. Les Soviétiques ont rapidement compris
qu’en apportant leur soutien à ce projet ils tiendraient en échec les plans
agressifs de Washington.
La page de cette époque est tournée, d’abord parce
que le projet nationaliste populiste du monde arabe a rapidement épuisé son
potentiel de transformation, les pouvoirs nationalistes se sont enfoncés dans
des dictatures sans programme. Le vide créé par cette dérive a ouvert la voie à
l’Islam politique et aux autocraties obscurantistes du Golfe, les alliés
préférentiels de Washington. La région est devenue l’un des ventres du système
global, produisant des conjonctures qui permettent l’intervention extérieure (y
compris militaire) que les régimes en place ne sont plus à même de contenir –
ou de décourager – faute de légitimité auprès de leurs peuples.
La région constituait – et continue à constituer –
dans le découpage géomilitaire américain qui couvre la planète entière, une
zone considérée comme étant de première priorité (comme les Caraïbes) c’est à
dire une zone où les Etats Unis se sont octroyés le « droit »
d’intervention militaire. Depuis 1990 ils ne s’en privent pas !
Les Etats Unis opèrent au Moyen orient en étroite collaboration avec
leurs deux alliés fidèles inconditionnels –
2-L’expansionnisme colonial d’Israël constitue un défi
réel. Israël est le seul pays au monde qui refuse de se reconnaître des
frontières définitives quelconques (et à ce titre n’aurait pas le droit d’être
membre des Nations Unis). Comme les Etats Unis au XIXe siècle il considère
qu’il a le « droit » de conquérir de nouvelles aires pour l’expansion
de sa colonisation et y traiter les peuples qui les habitent depuis mille ans
sinon davantage comme des Peaux Rouges. Israël est le seul pays qui déclare
ouvertement ne pas s’estimer lié par les résolutions de l’ONU.
La guerre de 1967, planifiée en accord avec
Washington dès 1965, poursuivait plusieurs objectifs : amorcer
l’effondrement des régimes nationalistes populistes, briser leur alliance avec
l’Union soviétique, les contraindre à se repositionner dans le sillage
américain, ouvrir des terres nouvelles à la colonisation sioniste. Dans les
territoires conquis en 1967 Israël mettait donc en place un système d’apartheid
inspiré de celui de l’Afrique du Sud.
C’est ici que les intérêts du capital dominant mondialement
rejoignent ceux du sionisme. Car un monde arabe modernisé, riche et puissant
remettrait en question l’accès garanti des pays occidentaux au pillage de ses
ressources pétrolières, nécessaire à la poursuite du gaspillage associé à
l’accumulation capitaliste. Les pouvoirs politiques dans les pays de
L’alliance entre les puissances occidentales et
Israël est donc fondée sur le socle solide de leurs intérêts communs. Cette
alliance n’est ni le produit d’un sentiment de culpabilité des Européens,
responsables de l’antisémitisme et du crime nazi, ni celui de l’habileté du
« lobby juif » à exploiter ce sentiment. Si les puissances
occidentales pensaient que leurs intérêts étaient desservis par
l’expansionnisme colonial sioniste ils trouveraient rapidement les moyens de
surmonter leur « complexe » et de neutraliser le « lobby
juif ». Je n’en doute pas, n’étant pas de ceux qui croient naïvement que
l’opinion publique dans les pays démocratiques tels qu’ils sont impose ses vues
aux pouvoirs. On sait que l’opinion « ça se fabrique » aussi. Israël
est incapable de résister plus que quelques jours à des mesures (même modérées)
d’un blocus qu’on lui imposerait comme celui que les puissances occidentales
ont infligé à
Au lendemain de la défaite de 1967 Sadate déclarait
que puisque les Etats Unis détenaient dans leur jeu « 90 % des
cartes » (c’était son expression même) il fallait rompre avec l’URSS,
réintégrer le camp occidental et que, ce faisant, on pourrait obtenir de
Washington qu’il exerce une pression suffisante
sur Israël pour l’amener à la raison. Au delà même de cette « idée
stratégique » propre à Sadate – dont la suite des évènements a prouvé
l’inconsistance – l’opinion publique arabe demeure largement incapable de
comprendre la dynamique de l’expansion capitaliste mondiale, encore moins d’y
identifier les contradictions et faiblesses véritables. N’entend-on pas dire et
répéter que « les Occidentaux comprendront à la longue que leur intérêt
même est d’entretenir de bonnes relations avec les deux cents millions d’Arabes
– leurs voisins immédiats – et à ne pas sacrifier ces relations à leur soutien
inconditionnel à Israël » ? C’est implicitement penser que les
« Occidentaux » en question (c’est à dire le capital dominant)
souhaitent un monde arabe modernisé et développé, et ne pas comprendre qu’ils
veulent au contraire le maintenir dans l’impuissance et que pour cela leur
soutien à Israël leur est utile.
L’option faite par les gouvernements arabes – à
l’exception de
L’état de guerre permanente qu’Israël et les
puissances occidentales qui soutiennent son projet imposent dans la région
constitue à son tour un motif puissant permettant aux systèmes arabes
autocratiques de se perpétuer. Ce blocage d’une évolution démocratique possible
affaiblit les chances d’un renouveau arabe et fait donc l’affaire du
déploiement du capital dominant et de la stratégie hégémoniste des Etats Unis.
La boucle est bouclée : l’alliance israélo-américaine sert parfaitement
les intérêts des deux partenaires.
Dans un premier temps ce système d’apartheid mis en
place depuis
Le première intifida éclate en décembre 1987.
Explosion d’apparence « spontanée », elle exprime l’irruption sur la
scène des classes populaires, et singulièrement de ses segments les plus
pauvres, confinés dans les camps de réfugiés. L’intifada boycotte le pouvoir
israélien par l’organisation d’une désobéissance civique systématique. Israël
réagit avec brutalité ; mais ne parvient ni à rétablir son pouvoir policier
efficace ni à remettre en selle celui des classes moyennes tampons
palestiniennes peureuses. Au contraire l’intifada appelle un retour en masse
des forces politiques en exil, la constitution de nouvelles formes locales
d’organisation et le ralliement des classes moyennes à la lutte de libération
engagée. L’intifada a été le fait de jeunes – Chebab al intifada – au départ
non organisés dans les réseaux formels de l’OLP, mais pas davantage concurrents
hostiles à ceux-ci. Les quatre composantes de l’OLP (Fath, dévoué à son chef
Yasser Arafat, le FDLP et le FPLP, le Parti Communiste) se sont immédiatement
engouffrés dans l’intifada et de ce fait ont gagné à eux la sympathie de
beaucoup de ces Chebab. Les Frères Musulmans dépassés par leur faible activité
durant les années précédentes en dépit de quelques actions du Jihad islamique
faisant son apparition en 1980 cédaient la place à une nouvelle expression de
lutte – Hamas, constitué en 1988.
Tandis que cette première intifada donnait après deux
ans d’expansion des signes d’essoufflement tant la répression israélienne a été
violente (usage d’armes à feu contre des enfants, fermeture de la « ligne
verte » aux travailleurs palestiniens, source devenue exclusive de revenus
pour leurs familles etc.), la scène était montée pour une « négociation »
dont les Etats Unis ont pris l’initiative conduisant à Madrid (1991) puis aux
accords dits de paix d’Oslo (1993). Ces accords ont permis le retour de l’OLP
dans les territoires occupés et sa transformation en une « Autorité palestinienne »
(1994).
Les accords d’Oslo avaient imaginé la transformation
des territoires occupés en un ou plusieurs Bantoustans, définitivement intégrés
dans l’espace israélien. Dans ce cadre l’Autorité Palestinienne ne devait être
qu’un faux Etat – comme ceux des Bantoustans -, en fait la courroie de
transmission de l’ordre sioniste.
Rentré en Palestine, l’OLP devenue Autorité est
parvenue à établir son ordre, non sans quelque ambiguïté. L’Autorité a absorbé
dans ses nouvelles structures la majeure partie des Chebab qui avaient
coordonné l’intifada. Elle est parvenue à se donner une légitimité par la
consultation électorale de 1996, à laquelle les Palestiniens ont participé en
masse (80 %), tandis que Arafat se faisait plébisciter Président de cette
Autorité. L’Autorité demeure néanmoins dans une position ambiguë :
acceptera-t-elle de remplir les fonctions qu’Israël, les Etats Unis et l’Europe
lui attribuent – celle de « gouvernement d’un Bantoustan » ? ou
se rangera-t-elle avec le peuple palestinien qui refuse de se soumettre ?
C’est bien parce que le peuple palestinien refuse le
projet de Bantoustan qu’Israël a décidé de dénoncer les accords d’Oslo, dont il
avait pourtant dicté les termes, pour leur substituer l’emploi de la violence
militaire pure et simple. La provocation du plateau des Mosquées, mise en œuvre
par le criminel de guerre Sharon en 1998 (mais avec le soutien du gouvernement
alors travailliste qui lui a fourni les chars d’assaut), l’élection triomphale
de ce même criminel à la tête du gouvernement d’Israël (et la collaboration des
« colombes » comme Simon Peres à ce gouvernement), sont donc à
l’origine de la seconde intifada, en cours.
Celle-ci parviendra-t-elle à libérer le peuple
palestinien de la perspective de sa soumission planifiée à l’apartheid sioniste
. Trop tôt pour le dire. En tout cas le peuple palestinien dispose maintenant
d’un véritable mouvement de libération nationale. Il a ses spécificités. Il
n’est pas du style « parti unique », d’apparence (sinon en réalité)
« unanime » et homogène. Il est fait de composantes qui conservent
leurs personnalités propres, leurs visions de l’avenir, leurs idéologies même,
leurs militants et même leurs clientèles, mais qui, apparemment savent
s’entendre pour mener la lutte ensemble.
3-L’érosion des régimes de nationalisme populiste et
la disparition du soutien soviétique ont donné aux Etats Unis l’occasion de
mettre en œuvre pour « projet » pour la région, sans obstacle capable
de les faire reculer jusqu’ici
Le contrôle du Moyen Orient est certainement une
pièce maîtresse du projet d’hégémonie mondiale de Washington. Comment donc les
Etats Unis imaginent-ils s’assurer le contrôle ?Il y a déjà une dizaine
d’années Washington avait pris l’initiative d’avancer le projet curieux d’un
« marché commun du Moyen Orient » dans lequel des pays du Golfe
auraient fourni le capital, les autres pays arabes la main d’œuvre à bon
marché, réservant à Israël le contrôle technologique et les fonctions de
l’intermédiaires obligé. Accepté par les pays du Golfe et l’Egypte, le projet
se heurtait néanmoins au refus de
La question est alors de savoir quel type de régime
politique doit être mis en place, capable de soutenir le projet. Les discours
d’emballage de la propagande de Washington parlent de
« démocraties ». En fait Washington ne s’emploie à rien d’autre qu’à
substituer aux autocraties usées du populisme dépassé des autocraties obscurantistes
prétendues « islamiques » (respect de la spécificité culturelle des
« communautés » oblige). L’alliance renouvelée avec un Islam
politique dit « modéré » (c’est à dire capable de maîtriser la
situation avec suffisamment d’efficacité pour interdire les dérives
« terroristes » - celles dirigées contre les Etats Unis et elles
seules bien entendu) constitue l’axe de l’option politique de Washington au
demeurant son seule option possible. C’est dans cette perspective que la
réconciliation avec l’autocratie archaïque du système séoudien sera recherchée.
Face au déploiement du projet des Etats Unis, les
Européens inventaient leur propre projet, baptisé « partenariat
euro-méditerranéen ». Un projet fort peu hardi, encombré de bavardages
sans suite, mais qui, lui également, se proposait de « réconcilier les
pays arabes avec Israël », tandis qu’en excluant les pays du Golfe du
« dialogue euro-méditerranéens » ces mêmes Européens reconnaissaient
par là même que la gestion de ces derniers pays relevait de la responsabilité
exclusive de Washington (15)
Le contraste saisissant entre l’audace téméraire du
projet américain et la débilité de celui de l’Europe est un bel indicateur que
l’atlantisme réellement existant ignore le « sharing » (le partage
des responsabilités et l’association dans la prise de décision, plaçant sur
pied d’égalité les Etats Unis et l’Europe). Tony Blair, qui se fait l’avocat de
la construction d’un monde « unipolaire » croit pouvoir justifier
cette option parce que l’atlantisme qui le permettrait serait fondé sur le
« sharing ». L’arrogance de Washington dément chaque jour davantage
cet espoir illusoire, si ce n’est tout simplement pas là le moyen de berner les
opinions européennes. Le réalisme du propos de Staline qui avait dit en son
temps des nazis « qu’ils ne savaient pas où il fallait s’arrêter
« s’applique à la lettre à la junte qui gouverne les Etats Unis. Et les
« espoirs » que Blair tente de réanimer n’en ressemblent que
davantage à ceux que Mussolini plaçait dans sa capacité « d’assagir »
Hitler !
Une autre option européenne est-elle possible ?
Se dessine-t-elle ? Le discours de Chirac opposant au monde
« atlantique unipolaire » (qu’il comprend bien, semble-t-il, comme
étant en fait synonyme d’hégémonie unilatérale des Etats Unis, réduisant le
projet européen à n’être rien de plus que le volet européen du projet de
Washington) la construction d’un monde « multipolaire » annonce-t-il
la fin de l’atlantisme ?
Pour que cette possibilité devienne réalité encore
faudrait-il que l’Europe parvienne à sortir des sables mouvants sur lesquels
elle patine.
5. Les sables mouvants du projet européen
Tous les gouvernements des Etats européens sont
jusqu’à présent ralliés aux thèses du libéralisme. Ce ralliement des Etats
européens ne signifie donc rien de moins que l'effacement du projet européen,
sa double dilution économique (les avantages de l'union économique européenne
se dissolvent dans la mondialisation économique) et politique (l'autonomie
politique et militaire européenne disparaît). Il n'y a pas, à l'heure actuelle,
de projet européen. On lui a substitué un projet nord atlantique (ou
éventuellement de
Les guerres « made in USA » ont
certainement réveillé les opinions publiques – partout en Europe contre la
dernière en date, celle d’Irak – et même certains gouvernements, en premier
lieu celui de
La conclusion politique majeure que je tire de cette
analyse est que l’Europe ne peut pas sortir de l’atlantisme tant que les
alliances politiques qui définissent les blocs au pouvoir resteront centrés sur
le capital transnational dominant. C’est seulement si les luttes sociales et
politiques parviennent à modifier le contenu de ces blocs et à imposer de
nouveaux compromis historiques entre le capital et le travail qu’alors l’Europe
pourra prendre quelques distances à l’égard de Washington, permettant le
renouveau d’un projet européen éventuel. Dans ces conditions l’Europe pourrait
– devrait même – également s’engager sur le plan international, dans ses
relations avec l’Est et le Sud, sur un autre chemin que celui tracé par les
exigences exclusives de l’impérialisme collectif, amorçant ainsi sa
participation à la longue marche « au delà du capitalisme ».
Autrement dit l’Europe sera de gauche (le terme de gauche étant pris ici au
sérieux) ou ne sera pas.
Concilier le ralliement au libéralisme et
l’affirmation d’une autonomie politique de l’Europe ou des Etats qui la
constituent demeure l’objectif de certaines fractions des classes politiques
européennes soucieuses de préserver les positions exclusives du grand capital.
Pourront-elles y parvenir ? J’en doute fort.
En contrepoint les classes populaires en Europe, ici
ou là tout au moins, seront-elles capables de surmonter la crise qui les frappe
? Je le crois possible, précisément pour les raisons qui font que la culture
politique de certains pays européens au moins, différente de celle des Etats
Unis, pourrait produire cette renaissance de la gauche. La condition est
évidemment que celle-ci se libère du virus du libéralisme.
Le « projet européen » est né comme le
volet européen du projet atlantiste des Etats Unis, conçu au lendemain de la
seconde guerre mondiale, dans l’esprit de la « guerre froide » mise
en œuvre par Washington, projet auquel les bourgeoisies européennes – à la fois
affaiblies et craintives à l’égard de leurs propres classes ouvrières – ont
adhéré pratiquement sans conditions.
Cependant le déploiement lui même de ce projet –
fut-il d’origine douteuse – a progressivement modifié des données importantes
du problème et des défis. L’Europe de l’Ouest est parvenue à
« rattraper » son retard économique et technologique par rapport aux
Etats Unis, ou en a les moyens. Par ailleurs « l’ennemi soviétique »
n’est plus. D’autre part le déploiement du projet a gommé les adversités
principales et violentes qui avaient marqué un siècle et demi l’histoire européenne :
les trois pays majeurs du continent –
Ce dernier virage a plongé les sociétés européennes
dans une crise multidimentionnelle. D’abord, il y a la crise économique tout
court, immanente à l’option libérale. Une crise aggravée par l’alignement des
pays de l’Europe sur les exigences économiques du leader nord américain,
l’Europe consentant jusqu’ici à financer le déficit de ce dernier, au détriment
de ses intérêts propres. Ensuite il y a une crise sociale qui s’accentue par la
montée des résistances et des luttes des classes populaires contre les
conséquences fatales de l’option libérale. Enfin, il y a l’amorce d’une crise politique
– le refus de s’aligner, sans conditions tout au moins, sur l’option des Etats
Unis : la guerre sans fin contre le Sud.
Comment les peuples et les Etats européens font-ils
et feront-ils face à ce triple défi ?
Les européanistes de principe se partagent en trois
ensembles passablement différents :
- Ceux qui défendent l’option libérale et acceptent
le leadership des Etats Unis, à peu près sans conditions.
- Ceux qui défendent l’option libérale mais
souhaiteraient une Europe politique indépendante, sortie de l’alignement
américain.
- Ceux qui souhaiteraient (et luttent pour) une
« Europe sociale » c’est à dire un capitalisme tempéré par un nouveau
compromis social capital/travail opérant à l’échelle européenne, et
simultanément une Europe politique pratiquant « d’autres relations »
(sous entendu amicales, démocratiques et pacifiques) avec le Sud,
Il y a certes, en outre, des « non
européens » au sens qu’ils ne pensent pas l’une quelconque des trois
options des pro-européens souhaitable, ou même possible. Ceux là sont encore,
pour le moment, fortement minoritaires,
mais certainement appelés à se renforcer. Se renforcer d’ailleurs à travers
l’une de deux options fondamentalement différentes :
- une option « populiste » de droite,
refusant la progression de pouvoirs politiques – et peut être économiques –
supra nationaux, à l’exception évidemment de ceux du capital
transnational !
- une option populaire de gauche, nationale,
citoyenne, démocratique et sociale.
Sur quelles forces s’appuie chacune de ces tendances
et quelles sont leurs chances respectives ?
Le capital dominant est libéral, par nature. De ce
fait il est porté, logique avec lui même, à soutenir la première des trois
options. Tony Blair représente l’expression la plus cohérente de ce que j’ai
qualifié « d’impérialisme collectif de la triade ». La classe
politique ralliée derrière la bannière étoilée est disposée, si nécessaire, à
« sacrifier le projet européen » - ou tout au moins à dissiper toute
illusion à son sujet – en le maintenant dans le carcan de ses origines :
être le volet européen du projet atlantiste. Mais Bush, comme Hitler, ne
conçoit pas d’alliés autres que des subordonnés alignés sans conditions. C’est
la raison pour laquelle des segments importants de la classe politique, y
compris de droite – et bien que ceux-ci soient en principe des défenseurs des
intérêts du capital dominant – refusent de s’aligner sur les Etats Unis comme
hier sur Hitler. S’il y a un Churchill possible en Europe ce serait Chirac. Le
sera-t-il ?
La stratégie du capital dominant peut s’accommoder
d’un « anti-européanisme de droite », lequel se contentera alors de
rhétoriques nationalistes démagogiques (mobilisant par exemple le thème des
immigrés – du Sud bien entendu) tandis qu’il se soumettra en fait aux exigences
d’un libéralisme non spécifiquement « européen », mais mondialisé.
Aznar et Berlusconi constituent des prototypes de ces alliés de Washington. Les
classes politiques serviles de l’Europe de l’Est également.
De ce fait je crois la seconde option difficile à
tenir. Elle est cependant celle des gouvernements européens majeurs –
Cette option est néanmoins celle d’alliés face à
l’adversaire nord américain qui constitue l’ennemi principal de toute
l’humanité. Je dis bien d’alliés parce que je suis persuadé que, s’ils
persistent dans leur option, ils seront amenés à sortir de la soumission à la
logique du projet unilatéral du capital (le libéralisme) et à chercher des
alliances à gauche (les seules qui puissent donner force à leur projet
d’indépendance vis à vis de Washington). L’alliance entre les ensembles deux et trois n’est pas impossible. Tout
comme le fut la grande alliance anti-nazie.
Si cette alliance prend forme, alors devra-t-elle et
pourra-t-elle opérer exclusivement dans le cadre européen, tous les
européanistes étant incapables de renoncer à la priorité donnée à ce
cadre ? Je ne le crois pas, parce que ce cadre, tel qu’il est et restera,
ne favorise systématiquement que l’option du premier groupe pro-américain.
Faudra-t-il alors faire éclater l’Europe et renoncer définitivement à son projet ?
Je ne le crois pas non plus nécessaire, ni même
souhaitable. Une autre stratégie est possible : celle de laisser le projet
européen « figé », pour un temps, à son stade actuel de
développement, et de développer parallèlement d’autres axes d’alliances.
Je donnerais ici une toute première priorité à la
construction d’une alliance politique et stratégique Paris-Berlin-Moscou-
prolongée jusqu’à Pékin et Delhi si possible. Je dis bien politique ayant
l’objectif de redonner au pluralisme international et à l’ONU toutes leurs
fonctions. Et stratégique : construire ensemble des forces militaires à la
hauteur du défi américain. Ces trois ou quatre puissances en ont tous les
moyens, technologiques et financiers, renforcés par leurs traditions de
capacités militaires devant lesquelles les Etats Unis font pâle figure. Le défi
américain et ses ambitions criminelles l’imposent. Mais ces ambitions sont
démesurées. Il faut le prouver. Constituer un front anti-hégémoniste est
aujourd’hui, comme hier constituer une alliance anti-nazie, la toute première
priorité.
Cette stratégie réconcilierait les
« pro-européens » des groupes deux et trois et les « non
européens » de gauche. Elle créerait donc des conditions favorables à la
reprise plus tard d’un projet européen, intégrant même probablement une Grande
Bretagne libérée de sa soumission aux Etats Unis et une Europe de l’Est
débarrassé de sa culture servile. Soyons patients, cela prendra beaucoup de
temps.
Il
n’ y aura aucun progrès possible d’ un quelconque projet européen tant que la
stratégie des Etats Unis n’ aura pas été mise en déroute.
6.
L’Europe
face à son Sud arabe et méditerranéen
Le monde arabe et le Moyen
Orient occupent une place décisive dans le projet hégémoniste des Etats Unis .
La réponse que les Européens donneront au défi des Etats Unis dans la région
devient alors l’ un des tests décisifs pour le projet européen lui même.
La question est donc de savoir
si les riverains de
Les différentes puissances européennes avaient eu
jusqu'en 1945 des politiques méditerranéennes propres à chacune d'elles, le
plus souvent conflictuelles d'ailleurs. Après la seconde guerre mondiale les
Etats de l'Europe occidentale n'ont pratiquement plus de politique
méditerranéenne et arabe, ni particulière à chacun d'eux, ni commune, autre que
celle que l'alignement sur les Etats Unis implique. Il reste que, même dans ce
cadre,
Pour des raisons différentes
l'Allemagne n'a pas davantage de politique arabe et méditerranéenne spécifique
et ne cherchera probablement pas à en développer dans l'avenir visible. Handicapée
par sa division et son statut,
Les positions de
L'Italie est, par sa position
géographique même, forcément sensible aux problèmes méditerranéens. Cela ne
signifie pas qu'elle ait - de ce fait - une politique méditerranéenne et arabe
réelle et, encore moins, efficace ou autonome. Longtemps marginalisée dans le
développement capitaliste, l'Italie a été contrainte d'inscrire ses ambitions
méditerranéennes dans le sillage d'une alliance obligée avec d'autres
puissances européennes, plus décisives. De l'accomplissement de son unité au
milieu du siècle dernier à la chute de Mussolini en 1943 elle a toujours hésité
entre l'alliance avec les maîtres de
.
L'atlantisme, qui s'exerce en
Italie dans une vision qui implique un profil politique extérieur bas dans le
sillage des Etats Unis, a dominé l'action et les options des gouvernements
italiens depuis 1947. Il est également dominant, dans une vision plus
idéologisée encore, dans certains secteurs de la bourgeoisie laïque (les
Républicains et les Libéraux, certains socialistes). Car chez les chrétiens
démocrates il est tempéré par la pression de l'universalisme de la tradition
catholique. Il est caractéristique que la papauté a souvent pris de ce fait,
des positions vis à vis des peuples arabes (notamment dans la question
palestinienne) et de ceux du tiers monde moins rétrogrades que celles de nombreux
gouvernements italiens et occidentaux en général. Le glissement à gauche d'une
partie de l'Eglise catholique, sous l'influence de la théologie de la
libération d'Amérique latine, renforce aujourd'hui cet universalisme dont on
retrouve des versions laïques dans les mouvements pacifistes, écologistes et
tiers mondistes. Le courant mittel européaniste plonge ses racines dans le XIXe
siècle italien et la coupure Nord-Sud que l'unité italienne n'a pas surmontée.
Accroché aux intérêts du grand capital milanais, il suggère de donner la
priorité à l'expansion économique de l'Italie vers l'Est européen, en
association étroite avec l'Allemagne. Dans ce cadre,
La droite italienne , réunifiée
sous la direction de Berlusconi au pouvoir , a fait l’ option de s’ inscrire
dans le sillage de l’ axe atlantique Washington – Londres . Le comportement des
forces de police lors du G8 de Gênes ( juillet 2001 ) exprime ce choix on ne
peut plus clairement.
L'Espagne et le Portugal
occupent une place importante dans la géostratégie d'hégémonie mondiale des
Etats Unis. Le Pentagone considère en effet que l'axe Açores-Canaries-
Gibraltar-Baléares est essentiel pour la surveillance de l'Atlantique nord et
sud et le verrouillage de l'entrée en Méditerranée. Les Etats Unis avaient donc
forgé leur alliance avec ces deux pays au lendemain même de la seconde guerre
mondiale, sans éprouver la moindre gêne du fait de leur caractère fasciste. Au
contraire même l'anticommunisme forcené des dictatures de Salazar et de Franco
servait bien la cause hégémoniste des Etats Unis permettant de faire admettre
le Portugal dans l'OTAN et d'établir sur le sol espagnol des bases américaines
de première importance. En contre partie les Etats Unis et leurs alliés
européens ont soutenu sans réserve le Portugal jusqu'au terme de sa défaite
dans sa guerre coloniale.
L'évolution démocratique de
l'Espagne après la mort de Franco n'a pas été l'occasion d'une remise en
question de l'intégration du pays dans le système militaire américain. Au
contraire même l'adhésion formelle de l'Espagne à l'OTAN (en Mai 1982) avait
fait l'objet d'un véritable chantage électoral laissant entendre que la
participation à
Depuis, l'alignement de Madrid
sur les positions de Washington est sans réserve. En contrepartie les Etats Unis
seraient, paraît-il, intervenus pour « modérer » les revendications marocaines
sur Ceuta et Mellila et même pour tenter de convaincre
Les gouvernements socialistes
puis de droite ont donc procédé à un redéploiement des forces espagnoles pour
faire face à un « front sud » éventuel, comme ils se sont engagés dans un
programme de modernisation de l'armée de terre, de l'aviation et de la marine.
Ce basculement, requis par Washington et l'OTAN, est l'une des nombreuses
manifestations de la nouvelle stratégie hégémoniste américaine substituant le
Sud à l'Est dans la « défense » de l'Occident. Il est accompagné, en Espagne,
d'un discours nouveau qui met en avant un «ennemi hypothétique venant du Sud»,
dont l'identification ne laisse planer aucun doute. Curieusement, ce discours
des milieux démocratiques (et socialistes) espagnols puise à la vieille
tradition de
Le gouvernement de droite
dirigé par Aznar a confirmé cet alignement atlantiste de Madrid . Plus encore
que l'Italie, l’ Espagne se refuse à capitaliser sa position méditerranéenne au
bénéfice d'une nouvelle politique européenne en direction du monde arabe, de
l'Afrique et du tiers monde, prenant des distances à l'égard des exigences de
l'hégémonisme américain. L'idée française d'un groupe méditerranéen au sein de
l'Union Européenne reste, de ce fait, suspendue en l'air, sans point d'appui
sérieux. D'ailleurs au plan économique le capital espagnol, héritier ici de la
tradition franquiste, a placé ses espoirs principaux d'expansion dans le
développement d'accords avec l'Allemagne et le Japon, invités à participer à la
modernisation de
Tant qu'elle a existé, la ligne
de confrontation Est-Ouest passait par le travers des Balkans. Le ralliement
obligé des Etats de région soit à Moscou, soit à Washington - la seule exception
avait été celle de
La fidélité d'Athènes à l'Occident euro-américain ne
lui a pas même valu un soutien réel dans son conflit avec
L'ensemble de la région balkanique-danubienne
(Yougoslavie, Albanie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie) était entrée en 1945 dans
le giron de Moscou, soit par le fait de l'occupation militaire soviétique et
l'acquiescement des partenaires de Yalta, soit par le fait de leur propre
libération et de l'option de leurs peuples en Yougoslavie et en Albanie.
La décomposition de l'Europe sud orientale à partir
de
Des analyses proposées ci-dessus concernant les options
politico-stratégiques des pays de la rive nord de
Le projet de domination des Etats Unis – l’ extension
de la doctrine Monroe à la planète entière – est démesuré. Ce projet , que j’
ai qualifié pour cette raison d’ Empire du chaos dés l’ effondrement de l’
Union soviétique en 1991, sera fatalement confronté à la montée des résistances
grandissantes des nations de l’ ancien monde qui n’ accepteront pas de s’ y
soumettre. Les Etats Unis seront alors appelés à se comporter comme l’
« Etat voyou » par excellence, substituant au droit international le
recours à la guerre permanente ( amorcée au Moyen orient , mais qui vise , au
delà ,
Les Etats européens , partenaires dans le système de
l’ impérialisme collectif de la triade , accepteront-ils cette dérive qui les
placeraient en position subalterne ? La thèse que j’ ai développée sur
cette question place l’ accent non pas sur les conflits d’ intêrets du capital
dominant , mais sur la différence qui sépare les cultures politiques de l’
Europe de celle qui caractérise la formation historique des Etats Unis et voit
dans cette contradiction nouvelle l’ une des raisons majeures de l’ échec
probable du projet des Etats Unis ( 16).
Notes
(1)
voir :
Samir Amin,
Classe et nation dans l’histoire et la crise contemporaine , chap VI et VIII ,
Minuit 1979
Samir Amin , L’ eurocentrisme , chap IV , Anthropos
economica , 1988
Samir Amin , Au delà du capitalisme sénile , pour un XXI
ième siècle non américain , PUF 2001
(2)
pour la critique du post modernisme et
la thèse de Negri , voir :
Samir Amin , Critique de l’ air du temps ,chap VI ,
Harmattan 1997
Samir Amin , Le virus libéral , pp20 et suiv , Le temps
des cerises , 2003
(3)
Samir Amin , L’hégèmonisme des Etats
Unis et l’effacement du projet européen , Harmattan , 2000
(4)
Samir Amin et all , Les enjeux
stratégiques en Méditerranée , première partie , Harmattan 1992
(5)
Comme par exemple :
Gérard Chaliand et Arnaud
Blin , America is back , Bayard 2003
(6)
Samir Amin , La faillite du
développement , chap II , Harmattan 1989
(7)
Samir Amin , Les défis de la
mondialisation , chap VII, Harmattan 1996
(8)
Salir Amin , L ‘ethnie à l’assaut des
nations , Harmattan 1994
(9)
Emmanuel Todd , Après l’ empire ,
Gallimard 2002
(10)
The national
security strategy of the United States 2002
(11)
Cf note 2
(12)
Samir Amin , Les défis de la
mondialisation , op cit , chapIII
(13)
Samir Amin , L’ empire du chaos ,
Harmattan 1991
(14)
Samir Amin , Les défis de la mondialisation
, op cit , chapI et II
(15)
Samir Amin et Ali El Kenz , Le monde
arabe , enjeux sociaux , perspectives méditérranéennes , Harmattan 2003
(16)
Samir Amin , Le virus libéral , op cit
, pp 20 et suiv
Samir Amin , L’idéologie américaine , publié en anglais
,in Ahram Weekly , mai 2003 , Le Caire