UNE MISSION
Après cinq années au service de vieille et vaste mission
d’unification de l’Europe en tant que Secrétaire Général du
Conseil de l’Europe à Strasbourg, qui compte désormais 47 états
membres, j’ai accepté en septembre 2004, l’invitation de la
Fondazione Mediterraneo et de mes amis Michele
Capasso et Claudio Azzolini, de devenir le Secrétaire Général de
la Maison de la Méditerranée basée à Naples :
Avec
la globalisation /mondialisation rapide de ce monde, l’Europe et
ses voisins doivent affronter les même défis et nous devons
préparer nos sociétés à leur faire face. Réformer et moderniser
est (donc) essentiel. Les défis de notre futur – le terrorisme
général qui tente de détourner la religion (à son profit), le
creusement de la pauvreté qui continue de grandir, l’économie
qu’il est de plus en plus difficile de garder active, les
menaces sur l’environnement et tout ce qui reste encore à venir,
demande une réponse collective, régionale, internationale, une
réponse globale.
Si nous prenons sérieusement nos responsabilités, affronter ces
challenges ne laisse aucune place à ce qu’un auteur américain a
appelé le « choc des civilisations ».
Au contraire, les civilisations sont toutes concernées.
Le terrorisme n’est pas le résultat d’une civilisation qui
s’opposerait ou attaquerait une autre, non c’est une attaque
contre toutes les civilisations. Le problème de la pauvreté ne
concerne pas seulement les régions ou les pays pauvres, non,
c’est aussi le problème des pays riches ; tout comme garder une
économie active ne concerne pas seulement les pays développés.
Les menaces sur l’environnement et sur nos ressources naturelles
sont des menaces pour le futur de chacun d’entre nous.
Au regard de nos défis communs mais aussi de nos opportunités,
nous avons beaucoup plus en commun que ce que beaucoup de gens
dans nos pays pensent. Malheureusement, nous regardons souvent
en premier nos différences et ce qui nous sépare plutôt que ce
qui nous unit.
La diversité à l’intérieur et entre nos sociétés devrait être
considérée comme un bien et non comme un obstacle. Nous devons
apprendre à apprendre des autres.
L’Europe elle-même est constituée d’une grande diversité de
nations, de cultures, de religions, de minorités. L’Europe, ce
sont 47 états, 200 langues, plusieurs (communautés
religieuses)/ religions Catholiques, Protestants, Orthodoxes,
Musulmans, Juifs, et même les traditions bouddhiste, germanique,
slave, ottomane et d’autres encore. Il y a toujours eu une
interaction avec nos voisins de l’Est et du Sud. Durant l’Empire
romain, la mer Méditerranée était appelée « Mare Nostrum »-
notre mer. Les Arabes qui sont venus en Espagne et ont occupé la
majeure partie de la péninsule (ibérique) appelée « Al
Andalous » ont rapporté un héritage non négligeable à l’Europe,
celui des grands philosophes grecs.
A
l’heure où grandissent la xénophobie et l’intolérance, nous
devons nous rappeler les expériences positives avec/ (qui ont
construit) la grande diversité de nations, de cultures et de
religions en Europe et dans l’aire méditerranéenne. Je suis
convaincu que c’est cette diversité qui a permis de construire
une identité culturelle européenne, de remporter tant de succès
en sciences et dans les arts, et finalement de développer aussi,
petit à petit, une identité politique européenne. Et cette
identité très spécifique inclut l’obligation de partager ses
succès avec les voisins et de devenir amis avec ses voisins.
L’Europe a appris, souvent à travers des expériences tragiques,
à développer face aux défis d’aujourd’hui, des réponses basées
sur un engagement commun pour la démocratie, des droits de
l’homme et du respect de la loi.
Ces réponses qui sont de plus en plus élaborées conjointement
avec la société civile, sont construites sur des valeurs
universelles, reprises des textes fondamentaux des Nations
Unies, notre héritage commun.
Ainsi, l’engagement européen à trouver des réponses globales
pour affronter nos défis communs, doit inclure un bon rapport de
voisinage et de vraies relations avec nos voisins.
Le livre de Samuel Huntington, « le choc des civilisations » est
souvent cité, mais comme j’ai souvent pu le constater, par des
personnes qui ne l’ont pas lu. J’ai répété maintes et maintes
fois ma propre conviction, à savoir que les problèmes actuels ne
reflètent pas tant un choc des civilisations qu’un choc de
l’ignorance. Je crois fortement qu’ensemble, nous pouvons
combler le fossé qui sépare la compréhension entre les nations
arabes et islamiques et ce que l’on appelle communément l’Ouest.
C’est un pré requis pour commencer nos efforts communs dans la
construction d’un monde meilleur.
Chacun de nous peut déjà commencer à la maison. C’est pourquoi,
quand j’ai pris la parole en octobre 2003 lors du Sommet
islamique à Kuala Lumpur, j’ai souligné qu’en tant que
Secrétaire Général de Conseil de l’Europe, je représentais 800
millions de citoyens européens dont 100 millions qui se disaient
de confession ou de culture islamique. Les pays islamiques ne
sont pas seulement nos voisins, ils font partie intégrante de la
diversité de l’Europe. Bien sur, je ne suis pas en train de dire
que cette diversité ne pose jamais de problème. Les problèmes
surgissent, tels que les incidents islamophobes, les questions
concernant les libertés fondamentales, l’égalité entre les
femmes et les hommes ainsi que l’intégration des immigrés.
Il y a également d’autres questions urgentes. Les actes
terroristes violent nos droits les plus fondamentaux tout comme
ils offensent nos convictions religieuses les plus profondes.
Ils doivent etre condamnés et combattus avec la plus grande
vigueur. Mais nous devons également nous assurer que nos
réponses au terrorisme défendent nos valeurs. Il faut éviter de
saboter et même de détruire nos valeurs sous prétexte de les
défendre.
Je suis très fier que dans cet esprit le Conseil de l’Europe,
sur mon initiative, ait sorti deux ans auparavant « la
charte des droits de l’homme et la lutte contre le
terrorisme » ??. Ils sont plus d’actualité que jamais.
En ce qui concerne le Moyen-Orient, je ne veux pas seulement
rappeler le support constant de l’Europe pour la « road map » et les appels pour un plus grand engagement au
processus de paix et la fin de la violence, je veux aussi
contribuer personnellement, à travers de bonnes relations avec
des représentants des deux camps, aussi bien qu’au travers
d’actions concrètes, par exemple en favorisant le dialogue
encore jeune/timide entre les Israéliens et les Arabes, ce que
j’avais déjà commencé à faire comme Secrétaire Général du
Conseil de l’Europe.
Ainsi, dans cette mer de troubles, nous pouvons faire plus, tout
en gardant notre optimisme et nos idéaux – nous avons
l’opportunité de mener des actions concrètes :
A
l’Europe, nous pouvons apporter la connaissance sur le monde
arabe, sa religion et ses traditions culturelles et au monde
islamique, nous pouvons apporter la connaissance de l’Europe,
ses religions et ses traditions culturelles. Je ne dis pas « a
propos de l’Islam à l’Europe » ni « à propos du Christianisme au
monde Arabe », parce que l’Islam appartient à l’héritage de
l’Europe tout comme le Christianisme appartient à l’héritage du
monde arabe.
Nous ne devrions jamais accepter que le projet européen continue
d’être défini précisément sur des aspects culturels, religieux,
historiques, géographiques ou même ethniques. Le projet d’une
Europe politique, ne l’oublions jamais, est d’abord et surtout
basé sur les valeurs de démocratie, des droits de l’homme et du
respect de la loi.
Travailler avec la Fondazione Mediterraneo et la
Maison de la Méditerranée et leur enthousiaste fondateur et
président Michele Capasso me donne l’opportunité d’œuvrer pour
un projet élargi de la Méditerranée, un projet de partage des
valeurs de démocratie, de tolérance, de compréhension mutuelle,
de dignité humaine, de droits de l’homme et de respect de la
loi, nationales ou internationales. Voilà pourquoi j’ai rejoint
comme Secrétaire Général la Maison de la Méditerranée.
Walter Schwimmer,
Secrétaire Général la Maison de la Méditerranée
Ancien Secrétaire Général du Conseil de l’Europe